jeudi 20 février 2025

La voie du sentir

 


Toucher l’Indicible

On dit que l’éveil, c’est voir.
Mais pourrait-il être toucher ?
Peut-on toucher l’indicible ?

Les enseignements traditionnels mettent en garde : les visions et autres révélations que l'on peut expérimenter lors de la méditation ou à l’occasion d’un éveil de conscience peuvent être des pièges. Si l'on s’y attache, elles deviennent des impasses, car la fascination qu’elles suscitent détourne l’attention du but véritable, qui est au-delà de ces expériences extraordinaires.

Dans les milieux spirituels, on parle souvent de visions, de rêves, de "flashes", de coïncidences, de parfums, de voix que l’on entend. D’autres fois, on est comme obsédé par des sensations hors du commun, agréables, flatteuses… ou bien l'on est obnubilé par le ressenti, véritable divinité du New Age, accompagnée de ses sœurs énergie et vibration. Autant d’obstacles potentiels sur la voie.

Cependant, dans la tradition du Cachemire, et plus largement dans le Tantra, une exception demeure : le toucher, les sensations tactiles.

Dans La Lumière des Tantras (Tantrāloka XI, 29-31), Abhinavagupta, le maître le plus célèbre du Tantra, expose les niveaux de conscience et les réalités correspondantes, nous conduisant ainsi à reconnaître que tout est manifestation de la conscience, dans la conscience et par la conscience, comme une projection intérieure.

Il signale alors, presque en passant, que le toucher n’est pas un obstacle spirituel, contrairement aux autres sensations :

Le parfum, la saveur, la forme
sont des qualités de plus en plus subtiles,
enracinées au sommet des qualités
et à la cime de l’illusion de la séparation (Māyā).

Mais le toucher
est ineffable, subtil…
Il existe, quant à lui,
au sommet du plan de la Śakti,
(et donc au-delà de la dualité,
au-delà de l’illusion).
Voilà pourquoi les yogis
aspirent sans cesse
à ce toucher ineffable.

Je relis ce passage si important :

Le parfum, la saveur, la forme
sont des qualités de plus en plus subtiles,
enracinées au sommet des qualités
et à la cime de l’illusion de la séparation (Māyā).

Et j’ajouterais que toutes ces sensations sont tout en haut du monde, mais elles font partie du monde.
Elles font partie de la séparation et elles nourrissent l’illusion d’une telle séparation.

Mais Abhinavagupta poursuit :

Le toucher est ineffable, subtil…

"Ineffable" signifie qu’il est si difficile de décrire les sensations tactiles.
Et il ajoute :

Il existe, ce toucher, au sommet du plan de la Śakti,
et donc au-delà de la dualité, au-delà de l’illusion.

Voilà pourquoi les yogis et yoginīs aspirent sans cesse à ce toucher ineffable.

Ce toucher subtil conduit à l’espace de la conscience universelle.
Il est une porte, car Śakti est toujours une porte vers Śiva.

Conscience, expérience, désir et leurs multiples facettes sont toujours une porte vers l’Être.

Abhinavagupta dit encore :

Mais à la fin de ce toucher,
à la fin de cette sensation tactile,
il y a la Conscience,
l’espace limpide de la Présence.
Quand on s’élève jusqu’à lui,
on atteint la Śakti suprême,
autolumineuse, évidente,
identique à Śiva.

Voyez : le toucher éclot comme une fleur et embrasse l’espace lumineux.

Le toucher auquel Abhinavagupta pense, c’est, par exemple, sentir la peau qui se mélange à l’espace autour du corps.

C’est ressentir les sensations de plus en plus subtiles, s’étendant toujours plus loin dans l’espace…
comme les branches d’un arbre, s’éloignant de plus en plus fines dans l’espace alentour…
dans l’espace qui baigne le corps et auquel il s’unit par son expansion.

Ainsi, le toucher éclot.
Et cette éclosion, en sanskrit, c’est l’éveil (unmeṣa).

Si je suis le chemin d’une sensation tactile,
un frémissement sur ma peau,
n’importe lequel, n’importe où,
ce chemin de sensation va me conduire au-delà de toute séparation,
dans l’espace vivant que je suis et qui est plus moi que moi-même,
dans l’espace vivant qui est tout.

Et ainsi, je ne vais plus me sentir dans l’espace.
Je vais sentir que je suis l’espace.

Et que ce que je prenais pour mon corps,
palpite, frémit, vibre dans l’espace.

Voilà le Yoga du Toucher,
le chemin de la vibration tactile,
esquissé par Abhinavagupta et transmis par les yoginīs.

Stages Cours Tantra Yoga :

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lundi 17 février 2025

Le souffle : clé de l'éveil



Le souffle, c'est la vie. Que ce soit dans le Tantra, le yoga ou toute autre pratique spirituelle, la respiration et l'énergie vitale sont au centre de toute pratique. Mais pourquoi ?

Selon la tradition du Tantra et une maxime souvent citée par les maîtres, "d'abord, la conscience se transforme en souffle". Cela signifie que la toute première manifestation, la première étape de l'évolution de la conscience, est le souffle. La conscience est l'essence et la substance de toute chose. C'est cette lumière qui éclaire tous les contenus de notre expérience, grâce à laquelle toutes les choses existent et grâce à laquelle, en ce moment même, vous voyez et entendez.

Cette conscience n'est pas immobile ; elle est vibration, ou "spanda" en sanscrit. Cette vibration est un mouvement, mais un mouvement immobile, car la conscience n'est pas limitée dans l'espace. Elle n'a pas besoin d'aller quelque part. En même temps, la conscience n'est pas inerte. Elle n'est pas comme l'espace, qui est infini mais dépourvu de conscience. La conscience vibre, c'est-à-dire qu'elle bouge sur place.

Au fur et à mesure que la conscience évolue vers sa propre manifestation, qui devient le monde, cette vibration ralentit. En ralentissant, elle devient les rythmes de l'énergie vitale, notamment la respiration.

Pourquoi est-ce important ? Parce que le Tantra nous dit que la connaissance du cycle de la conscience, la connaissance de son rythme, est la clé de l'éveil spirituel.

Concrètement, il existe une pratique fondamentale dans le Tantra : la pratique du souffle de l'éveil. Voici comment elle se déroule :

1 Prenez conscience de votre corps : Asseyez-vous ou restez debout, et continuez ce que vous faisiez, comme la vaisselle ou marcher dans la rue.

2 Ramenez votre attention vers le corps : Laissez cette attention, ce rayon de lumière, se poser sur le mouvement de la respiration. Si c'est trop abstrait, concentrez-vous sur le nombril.

3 Observez le mouvement cyclique : Remarquez que le nombril avance et recule, en un mouvement de va-et-vient. Ce mouvement est une vibration, la vibration de la conscience.

4 Goûtez la fin de l'expiration : Sans chercher à modifier votre respiration, ressentez particulièrement la fin de l'expiration. Remarquez le moment de suspension avant que le nombril ne reprenne son mouvement vers l'avant.

Ressentir ce moment de suspension est la clé de l'éveil spirituel. La tradition nous promet que si nous nous donnons entièrement à ce ressenti, toute notre vie en sera transformée.

Le mouvement du souffle est cyclique, mais il y a deux moments clés : à la fin de l'expiration et à la fin de l'inspiration. Ce sont des moments en dehors du cycle, où le souffle-conscience revient à la conscience pure, à l'énergie pure, à la vibration primordiale.

En déposant simplement notre attention sur ces moments d'intervalle, peu à peu, notre souffle, notre énergie vitale et toute notre vie seront transformés.

Voilà le secret du souffle selon le Tantra. Si vous êtes curieux d'en savoir plus et d'expérimenter davantage, je vous invite à consulter les liens dans la description pour découvrir des cours et des stages. Je vous souhaite de très belles explorations !

Stages, livres et cours en ligne :

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dimanche 2 février 2025

Mark S. G. Dyczkowski


 

J'apprends avec une profonde tristesse 

la mort de mon maître Mark S. G. Dyczkowski 

à Varanasi (Bénarès).

Mark avait consacré toute sa vie au Tantra. 

Contre vents et marées, 

il était devenu le plus grand savant en ce domaine 

qu'il vivait du fond de son être.

Mais surtout, il avait traduit des œuvres inédites,

il nous a fait connaître des trésors.

C'est lui qui m'a donné le manuscrit principal

pour ma traduction du Chummâ-sanketa-prakâsha 

qui paraîtra chez Almora en juin prochain.

Son travail semble surhumain, tant il est vaste, riche et profond,

à des années-lumière du prétendu "tantra" que l'on trouve partout. D'ailleurs, les prétendus enseignants de tantra n'avaient guère de crédit à ses yeux d'expert parlant le hindi, l'italien, et même le français. Sa connaissance du sanskrit et son art de la traduction étaient immenses, comme sa générosité, son abnégation et sa persévérance. Certains représentants du "shivaïsme du Cachemire" en France l'agaçaient particulièrement. "Ils sont pires que des charlatans" disait-il, et il voulait que je débunke leur "enseignement". Il en était écœuré, surtout vers la fin de sa vie. Je ne l'ai pas fait, mais sa sincérité, son honnêteté intellectuelle, qualités si rares en ce monde, je les garde comme exemples et je fais de vœux de m'en inspirer.

Il est un exemple pour moi et de nombreux amis. La tradition est vivante et elle vit à travers tous les amoureux qui l'étudient, la pratiquent et la transmettent, chacun selon sa capacité.

J'ai lu et relu ses livres, surtout ses traductions des Spanda-kârikâs, des dizaines de fois. Je continue à étudier son œuvre, immense, et je suis loin d'en avoir sondé les profondeurs !

Le meilleur hommage que nous puissions lui rendre est d'étudier et de pratiquer le Tantra comme il l'a fait. Et aussi, de contribuer, dans la mesure de nos forces, à faire connaître et à transmettre la tradition de la Déesse.

Puisse son âme trouver le repos en Shiva et nous revenir très vite.

Cours et stages tantra et Yoga :

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