Krishnamacharya est sans conteste la figure la plus importante du yoga moderne. Il a formé les maîtres les plus célèbres, comme Iyengar, Desikachar ou Pattabhis Jois. Il a vécut à Mysore, patroné par le roi du lieu.
Mais son yoga n'est pas simplement une tradition millénaire. En réalité, il a lui-même inventé un nouveau style, à partir de ce qu'il avait appris du hathayoga par le Shankaracharya de Shringeri (le même qui a réalisé l'édition des œuvres de Shankara en 1910, avec ses opuscules attribués à Shankara - ce que personne ne semble remettre en question en dépit du bon sens), plus plusieurs textes de yoga, plus l'influence de la lutte indienne (très populaire au Karnataka) et même la gymnastique des soldats anglais. Krishnamacharya avait d'ailleurs hérité d'un gymnase tout équipé dans le palais de Mysore.
Mais cet héritage posait deux problèmes à Krishnamacharya :
1) L'héritage tantrique. Le hathayoga est un système tantrique, enseigné à l'origine dans des textes tantriques. Son origine se trouve - avant de passer dans la tradition des Nâthas yogins - dans les traditions Shrîvidyâ et Kubjikâ. La Shrîvidyâ, en particulier, est une tradition centrée sur une magie sexuelle.
Or, Krishnamacharya était vishnouïte, de la tradition Pâncarâtra. C'est aussi une tradition tantrique à strictement parler, car basée sur l'initiation, les mantras, nyâsa, pûjâ, etc. Mais c'est une tradition tantrique sans aucun contenu sexuel, végétarienne et puritaine. C'est aussi la tradition du temple le plus populaire d'Inde (en nombre de visiteurs), le temple de Tirupati à Tirumalaï.
La solution, pour K., a consisté à dire qu'il avait reçu la révélation de son yoga par un certain Nâthamuni, un saint vishouïte ayant vécu au Xe siècle, mais qui n'a aucun rapport avec le hathayoga. K. a composé un texte sanskrit qui retranscrit ces révélations (texte traduit en français). A côté de ce texte en sanskrit, il a publié, en 1934, un livre en Kannada (sa langue natale), le Miel du yoga (Yoga-makaranda). Une traduction anglaise est disponible gratuitement.
2) K. n'avait pas vraiment de lignée très ancienne. Il était très doué, certes, mais il n'avait pas de maître nâthayogin, par exemple. De toute manière, cela aurait fait tâche dans son curriculum vishnouïte. Il a donc raconté une histoire - invraisemblable - selon laquelle il avait rencontré un maître mystérieux qui vivait - avec toute sa famille (!) - dans une grotte au bord du lac Manasarovar près du mont Kailash. Ce dernier lui aurait notamment transmis le Yogakorunta, texte inconnu au bataillon, dont le titre ne signifie rien. Mais il s'agit sans doute de la Gheranda-samhitâ, autre texte tantrique inavouable. A moins que ce texte n'existe pas du tout, et qu'il ait été un moyen de renforcer la légitimité d'un style nouveau. En effet, K. l'attribue à un certain Vâmana Rishi qui enseignerait là - comme par hasard - quelque chose qui ressemble fort au Vinyasa-krama yoga de K... Ce yoga - que l'on appelle aussi Ashtanga yoga - est un yoga classique, avec des postures, mais ces postures sont intégrées dans des séries de mouvements exécutés en accord avec le souffle. Cela étant, il est intéressant de noter que l'on retrouve cette idée de séries combinées au souffle dans le Yantra yoga enseigné par le maître dzogchen tibétain Namkhaï Norbu, yoga qui est censé remonter au VIIIe siècle.
Dans le montage ci-dessous, on voit le jeune Krishnamacharya et on entend les Yoga-sûtra de Patanjali. Ce texte n'a aucun rapport avec le hatha-yoga, mais cela ne gêne personne, il est partout enseigné comme étant la base du hathayoga. "Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse".
A ce propos, un livre à ne pas manquer, riche en révélations et en surprises...
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