A côté de la pratique du silence intérieur, j'ai distingué la pratique du cœur qui consiste à se laisser aller dans la sensation du "je suis". Cette pratique est au cœur de toute vie intérieure, de toute mystique. Dans le Je mystique, Joel Goldsmith décrit bien cette forme de méditation :
"Fermez les yeux et en vous-mêmes, en silence, comme une chose sacrée et secrète, dite doucement le mot "je...je...". Ce Je au centre de vous-même est puissant ! Ce Je en plein cœur de vous est plus grand que n'importe quel problème du monde extérieur. Ce Je au centre de vous est venu pour que vous ayez la vie, et pour que vous l'ayez en plus grande abondance. Ce Je est avec vous "avant qu'Abraham fut", dans l'attente de votre reconnaissance et votre gratitude" (p. 2, 1971).
Il est La Vive flamme d'amour et de félicité qui anime le cœur de l'âme, mais qui ordinairement n'est pas reconnue.
Cependant, les mystiques chrétiens ne reconnaissent pas généralement ce moi comme Je, mais comme une entité purement transcendante, même si elle se fait sentir au centre de soi. Bien sur, Paul a dit "Ce n'est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi", mais les orientations doctrinales ont le plus souvent empêché la reconnaissance du Je comme étant Dieu ou la Source.
Voici une exception. L'enseignement d'un obscur moine capucin mort en 1631, Constantin de Barbançon. Il distingue la vie intérieure dualiste, opération de la volonté tendue vers un Dieu transcendant, de la vie intérieure ultime - non-dualiste dirai-je - opération de Dieu reconnue comme notre acte d'exister et d'opérer, notre moi :
"(Dans la méditation Dieu) se communique ... pour être le premier principe et plus intime de notre être et de tout ce que nous sentons et opérons.... nous le devons unir avec ce que nous sommes.... comme devenu notre nous-mêmes, notre moi ou égoïté fondamentale, nous faisant déiformes et divins."
Anatomie de l'âme, I, p. 39
Selon lui, la pratique du Je est supérieure à celle du silence passif, bien que cette dernière soit condition de la première :
"Quand cet être et opérer de nature est outrepassé, et que plus outre que ce silence on trouve le nouvel être et opérer de la grâce surnaturelle et déiforme (qu'aucuns prennent pour Dieu même comme nous venons de le dire), c'est alors que nous retrouvons premièrement... un moi fondamental de participation de l'être divin, qui nous rend déiformes ; et puis un opérer tout nouveau, qui lui est proportionné."
Op. cit. p. 53-54
Plus loin, il distingue encore plus nettement l'approche transcendante, par silence et négations, de Dieu comme "Autre", de l'approche de la reconnaissance du Soi comme étant Dieu :
"Qu'au lieu qu'en la première élévation à Dieu on pratiquais un progrès continuel vers Dieu par un oubli et détachement de soi-même, n'arrêtant en nul degré de son propre être, mais tendant et s'écoulant toujours en Dieu - afin qu'en se négligeant on se peut finalement perdre et immerger en Dieu au sommet de son esprit - ici, au contraire, rien de plus dommageable à l'âme que si elle voulait par actes de son désir, encore que subtilement produits, se promouvoir et adresser à Dieu comme à un autre et distinct par-dessus soi... Le secret consiste à bien entendre que la relation ou l'attention, ou l'extension que l'âme doit avoir envers Dieu ne doit pas être comme en tant qu'il est sa fin et le terme ou l'objet de ses opérations, mais comme préalable et premier principe fondal et fontal de tout son opérer. Et, en tant que tel, il n'est pas alors autre et distinct, mais comme devenu radicalement et fondamentalement son moi."
Anatomie de l'âme, III, p. 145
Autrement dit, le Je est Dieu et il n'est pas le but de la pratique, mais sa condition toujours déjà présente et parfaite. La pratique est la reconnaissance de ce qui rend possible toute pratique, toute "opération". On ne va pas vers Dieu, mais on reconnait que tout procède de lui, et c'est dans cette contemplation que l'âme se convertit vers lui. De plus, les opérations, les pratiques et aussi bien la vie quotidienne tout entière sont transformées selon cette reconnaissance. Donc tout se résume à la reconnaissance "Je suis je" dont parlent Ramana et d'autres mystiques.
Chacun peut en faire l'expérience sans attendre.
P.S. : ces extraits sont tirés de l'excellent Expériences mystiques en Occident de Dominique Tronc. Il s'est appuyé sur les livres de la Biliothèque de Chantilly. Comme cette bibliothèque s'est retrouvée sur Google Book, on peut lire l'original de Constantin ici :
Merci David ! J'aime votre blog, mais plus particulièrement lorsque vous faites un lien avec la tradition chrétienne ! Ces textes de Constantin sont très beaux !
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