Les désirs ne sont pas détruits dans une "extinction" impersonnelle.
Ils ne sont pas non plus réorientés "vers Dieu", la Déesse, le divin ou quelque équivalent, tout en restant "des" désirs pluriels.
C'est plutôt que le désir s'unifie. Il se révèle, peu à peu ou d'un seul coup, comme étant un seul et unique désir. Il n'y a qu'un désir, une énergie, un élan créateur, qui semble se fragmenter à mesure qu'il se manifeste envers des objets apparemment fragmentés.
L'unique élan que je suis, que tout est, devient une foule de désirs parfois antagonistes. L'"éveil" consiste à s'éveiller à cette unité : il n'y a qu'un seul désir.
Il y a donc des renoncements à "des" objets du désir, mais non pas au désir lui-même.
Le désir, pris en lui-même, ne peut d'ailleurs pas d'être renoncé. Même dans le sommeil profond, le désir est, encore, comme désir de n'être rien, comme désir d'abstraire. Cependant, dans cet état de sommeil profond, le désir pur, total, un, n'est pas pour autant révélé, car il y a encore un objet : ce "rien", justement, cette absence d'objets distincts, absence ou abstraction qui est aussi un objet, une construction délimitée. L'éveil ne peut donc avoir lieu dans le sommeil profond, mais seulement maintenant, dans l'état de veille.
L'unification des objets du désir comprend trois étapes :
1) l'unité totale, un seul objet ; cet objet, infini, se nomme alors "Dieu", être, un, mystère, etc. Le désir infini de cet objet infini est appelé "Déesse", "Vague", "Vibration", "Volonté", "Puissance", "Conscience", etc. Ici, le désir et son objet sont inséparables. Shiva et Shakti sont inséparables.
2) la multiplicité dans l'unité : l'état idéal d'éveil en cette vie. Il y a comme une fragmentation des objets, mais sans que cette variété ne cache l'unité de la réalisation, du désir, de la conscience, de l'expérience. Ici Shiva et Shakti se distinguent, mais sur fond d'unité prédominante. A l'image d'un balancement, il y a éloignement, puis retour, sans excès.
3) la multiplicité dans l'oubli de l'unité : l'état ordinaire, dans lequel la multiplicité des objets du désir entraîne une apparente multiplication des désirs parfois contradictoires. D'où le devenir, le temps et l'espace, qui sont déjà une manière de surmonter ces contradictions.
Voici comment Abhinava Gupta décrit ces trois étapes ou états du désir dans sa Grande méditation sur la Reconnaissance du Seigneur :
camatkāritā hi bhuñjānarūpatā svātmaviśrāntilakṣaṇā
sarvatra icchā | kvacittu svātmaviśrāntirbhāvāntaramanāgūritaviśeṣama-
pekṣya utthāpyate yatra sā icchā rāga iti ucyate,
āgūritaviśeṣatāyāṃ tu kāma iti |
"1) S'émerveiller/se délecter (camatkâra), c'est être en train de savourer, ce qui se reconnaît au fait que l'on s'absorbe en soi-même (sans plus faire attention à rien d'autre). C'est un désir de tout (sarvatra).
2) Mais parfois, cette absorption en soi surgit en relation avec un phénomène distinct, (mais) qui n'est pas désiré distinctement. Dans ce cas, ce désir est appelé 'désir coloré (par l'objet)' (râga).
3) En revanche, si cet objet est désiré distinctement, on parle de 'désir exclusif' (kâma)."
(IPVV vol. III, p. 252)
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