Dans le modèle bouddhiste des neuf états de méditation (dhyâna) sont mentionnés quatre états "non matériels" (arûpa), dont un état dit de "conscience infinie", situé entre "l'espace infini" et "le Rien", ākiṃcanya-āyatana, litt. "le rien comme support".
Il est intéressant de relever les descriptions et interprétations proposées par les adeptes contemporains, surtout dans la branche dite "pragmatique". Car cela renvoie au plus profond de nos vies intimes.
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Ainsi, Daniel Ingram décrit le passage de l'espace à la conscience par la réalisation "que l'on est conscient" de cet espace sans limites. Selon lui, cet état est celui que les ignorants prennent, à tord, pour un "Soi", un "Tao", un "Fond", un "Témoin permanent", "une Conscience éternelle", etc. C'est un piège, une illusion.
Si l'on croit cela, en effet, il faut alors "s'alarmer", allumer les lumières d'alerte, "laisser la terre trembler sous nos pieds" pour nous sortir de ce piège, etc.
Pourquoi ? Quels sont ses arguments ? Il n'en donne pas.
Ensuite, on passe au "Rien". Comment ? On ne sait pas trop. Pourquoi ? A cause d'un désenchantement. Mais on n'en saura pas plus, malgré les centaines de pages de cet auteur prolixe.
Qui a conscience de ce "Rien" ? Personne. Circulez. Mais c'est bien une expérience !?! Qui fait cette expérience ? Comme souvent dans le bouddhisme ancien, l'absence de réponse est censée tenir lieu de réponse, en sous-entendant que ce silence est profond. Circulez. Mais cela ne répond pas aux questions légitimes posées plus haut. Circulez, on vous dit !
Ingram ajoute que, dans l'état de Rien, il y a "des sensations qui suggèrent le Rien". Il y a donc "sensation" ! Mais il n'y a pourtant aucune "conscience" ? Cela a-t-il un sens ?
Maintenant, voici la question la plus importante :
Si l'état de conscience infinie est une illusion, QUI est victime de cette illusion ?
Pas de réponse.
Et ce n'est pas fini !
Après le Rien, vient l'état de "ni perception, ni non-perception".
Et ça n'est pas fini !
Après cela, vient l'état de cessation des perceptions.
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Si ces états sont des états de dissolution progressive des phénomènes dans la conscience (en Dieu, dans le Tao, etc.), alors tout cela fait sens.
Malheureusement, le bouddhisme (ancien) ne donne pas ce simple fil d'Ariane. Du coup, on se retrouve avec une pléthore d'interprétations contradictoires.
Ainsi, comme il manque ce fil d'Ariane, certains en ajoutent un : la "sensation de plaisir" (c'est ainsi qu'ils interprètent le sanskrit prîti, le pâlî pîti). Mais, comme cette mystérieuse "sensation de plaisir" ressemble au Soi tantrique, aux expériences de Kundalinî et autres symptômes pas très bouddhiques, ils ne sont pas à l'aise avec ce fil, pourtant indispensable, même à leurs yeux. On les sent gênés.
Et pour cause : cette "sensation de plaisir" est le Je suis, la vibration qui est le cœur de la conscience, c'est-à-dire de toute expérience, de toute sensation. Mais le Bouddhiste ne peut suivre ce fil jusqu'au bout sans craindre de perdre son identité bouddhiste. N'est-ce pas ironique ?
Du coup, nombre de ces adeptes sont adeptes, en plus du bouddhisme, d'autres idées, enseignements ou traditions.
Pour ne citer que les plus connus actuellement :
Daniel Ingram est un "éveillé" (arhat), mais il est aussi fan d'Aleister Crowley et de sa "magie du chaos". Et aussi de la guitare électrique.
Shinzen Young trouve un secours dans la bhakti, il est fasciné par shaktipâta et par la mystique chrétienne.
Feu John Yates affirme que le dzogchen et le chamanisme sont bien plus puissants que les neuf états de méditation.
Catherine Shaila cite Papaji (Poonja) comme son maître.
Sam Harris cite Papaji et des maîtres tibétains.
Leigh Brasington est plus sobre, et plus ouvertement matérialiste. Mais il admet que la "sensation de plaisir", plus sensible dans "le cœur" selon lui, est indispensable.
Tous ces enseignants sont globalement "à gauche" et plutôt matérialistes, rationalistes, progressistes, naturalistes ou scientistes. Ils ne sont pas très à l'aise avec l'idée d'une transcendance ou même, simplement, d'un élément affectif, personnel, qui aurait du sens et qui ne serait pas simplement du domaine des faits objectifs. Mais ils n'arrivent pas à se débarrasser de la "sensation de plaisir", souvent basée sur le souffle ou une mystérieuse sensation "dans le cœur".
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Qu'est-ce que j'en dis ?
J'en dis que cette "sensation de plaisir" est plus qu'un simple adjuvant. Il y a là quelque chose de vrai, un signe de quelque chose de plus profond, dont nul ne saurait se passer dans sa vie intérieure, quelques soient par ailleurs ses opinions.
Pour autant, ce "bouddhisme ancien" porte lui aussi un message important : il est vital de mourir, intérieurement, c'est-à-dire de lâcher prise, de se laisser aller vers le vide, vers l'espace, vers le silence. Mais sans la "sensation de plaisir", sans vibration, sans l'acte pur "je suis", ce vide sera une impasse. Il ne sera pas le vide béni qui permet d'être rempli par... autre chose.
C'est du moins mon expérience et celles de bien d'autres personnes qui m'inspirent. Et c'est celle aussi de ces enseignants de méditation, même si cela ne colle pas avec leurs opinions.
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