La conscience.La plus parfaite évidence.
Le mystère le plus insondable.
Je voudrais partager avec vous que cet enseignement existe aussi dans notre tradition, occidentale. Non seulement en Orient.
Voici des sources.
D'abord, un extrait d'un enseignement d'Augustin d'Hippone (430) :
"Puisque la lumière fait voir tous les autres êtres
qui se voient à la faveur de ses rayons,
aura-t-elle elle-même besoin d'un secours étranger pour se faire voir ?
La lumière fait apercevoir les objets étrangers, et du même coup,
elle se fait apercevoir elle-même.
Tout ce que nous comprenons,
nous le comprenons au moyen de notre intelligence ;
et notre intelligence, comment en avons-nous la connaissance,
sinon par elle-même ?
En est-il de même de nos yeux,
et se font-ils voir en même temps qu'ils montrent les objets environnants ?
Non, car si l'homme aperçoit les autres avec ses yeux,
il ne les aperçoit pas eux-mêmes.
Les yeux de notre corps voient autour d'eux, mais ils ne se voient pas : quant à notre intelligence, elle comprend
ce qui n'est pas elle, et elle se comprend elle-même." (Sur l'Evangile selon Jean, traité 47, 3)
Voilà le paradoxe étonnant :
la conscience ("l'intelligence") est la lumière qui rend tout visible ;
et pourtant, je ne la vois pas ! Je ne vois pas ma vision.
Plus encore : Cette lumière n'a pas besoin de lumière pour être illuminée,
car elle s'illumine elle-même en illuminant ce qui l'entoure.
Il en va de même pour la conscience :
En manifestant les choses, elle SE manifeste.
Elle n'a donc pas besoin d'une autre conscience pour se réaliser, se connaître.
Et pourtant, je ne la réalise pas !
Je ne prend pas conscience que je suis, qui est tout,
hors de laquelle il n'est rien,
alors même que je ne pourrait prendre conscience de rien sans conscience.
Voici donc deux principes d'éveil qui sont au cœur du Tantra non-dualiste et que l'on retrouve ici, en plein cœur de la tradition occidentale : 1) La conscience n'est pas connaissable à la manière d'un objet ; 2) La conscience n'a pas besoin d'autre chose pour se connaître.
Mais alors, pourquoi ne se connait-elle pas ? Pourquoi ne suis-je pas "éveillé" ? Parce qu'à force d'être omniprésente, elle est comme invisible. Comme l'espace, partout et, donc, nulle part. Transparente, elle présente les choses en s'absentant. Tournée vers les choses, elle s'oublie.
Second extrait, d'Hugues de Saint-Victor (1141) :
"L'œil voit tout sans se voir lui-même,
et cette lumière qui nous fait apercevoir tout le reste
ne nous permet pas de voir le visage même
où se trouve la lumière de nos yeux.
C'est pas des indices extérieurs
que les hommes apprennent à connaître leur visage,
et leur physionomie leur est connue le plus souvent par l'ouïe que par la vue,
à moins que tu n'apporte un miroir d'un autre genre,
où je puisse connaître et aimer le visage de mon cœur.
Comme s'il n'était pas très juste de traiter de fou celui qui,
pour nourrir son amour,
regarderait sans cesse dans le miroir le reflet de son visage." (Les Arrhes de l'amour)
Ici, la conscience (le "visage") est si proche,
que je dois passer un par détour : le miroir.
Ou bien la parole d'autrui.
Cette parole, c'est l'enseignement spirituel, miroir de notre vrai visage.
Ce miroir, c'est aussi la nature.
Quand je contemple le cosmos,
je me vois moi-même,
j'aperçois "comme en un miroir" la Source de toutes choses,
au-delà de toutes choses,
mais pas encore "face à face".
Notez aussi l'allusion à Narcisse :
était-il amoureux du reflet, ou du miroir ?
Dernier extrait de Bonaventure de Bagnoregio (1274), à propos de l'Être pur :
"Quel étrange aveuglement pour notre esprit
de ne point apercevoir
ce qu'il voit en premier,
et sans lequel rien ne peut être connu.
Mais c'est comme notre œil, concentré sur diverses couleurs :
il ne voit pas la lumière qui les rend visibles.
Ou s'il la voit,
il ne la remarque pas.
Il en est de même pour l’œil de notre âme :
concentrée sur les choses particulières et générales,
il ne remarque pas l'être qui est au-delà de toutes les catégories,
alors que c'est l'être qui se manifeste en premier dans l'âme,
et que c'est grâce à lui qu'il voit le reste.
Ainsi la formule se vérifie pleinement :
'semblable à l’œil du hibou aveuglé
par la lumière, l'œil de notre âme est ébloui par trop d'évidence'.
Habitué aux fantômes du sensible, dès qu'il regarde la lumière de l'Être souverain,
il lui semble ne plus rien voir.
Il ne comprend pas que cette obscurité suprême
opère l'illumination de notre esprit.
Ainsi l'œil du corps en face de la pure lumière a l'impression
de ne rein voir." (Itinéraire de l'esprit vers Dieu, 5, 4, trad. Duméry modifiée)."
"Ebloui par trop d'évidence"... tout est dit. Où tout ce qui peut l'être.
Dans ces extraits toute l'évidence et tout le mystère sont indiqués, de ce que l'Inde nomme "conscience" ou "soi-même".
Je note au passage que notre premier auteur, Augustin, réfute dans son traité Du Maître l'idée que l'on puisse faire connaître en pointant du doigt. Selon lui, chacun de nous a déjà un "doigt" intérieur pointé vers la Vérité (le Maître, le Logos). Et c'est cela qui rend possible l'intelligence. Or, en Inde, Bhartrihari et Abhinavagupta défendent une idée très semblable. Là encore, affinité, voire parenté de l'Inde et de l'Europe.
Ainsi, de même que la conscience croit avoir besoin d'une autre conscience (un maître ou un "gourou") pour se connaître, de même nous croyons avoir besoin de l'Inde, et autres idoles, pour nous connaître, alors que cette même conscience est bien présente, ici, en Occident, de même que la conscience est omniprésente.
Or, voici venu le temps du retour.