"Que l'âme ne cherche donc pas à s'atteindre comme une absente, mais qu'elle s'applique à discerner sa présence ! Qu'elle ne cherche pas à se connaître comme si elle était une inconnue pour elle-même, mais qu'elles se distinguent de ce qu'elle sait n'être pas elle!
Ce précepte qu'elle reçoit, le Connais-toi toi-même, comment se soucie-t-elle de le mettre en pratique, si elle ne sait ce que signifie le connais et le toi-même ? Dès lors qu'elle comprend ces deux mots, c'est qu'elle se connaît aussi elle-même.
Car on ne dit pas à l'âme « connaît-toi toi-même », comme on lui dit « Connais les Chérubins et les Séraphins » : bien qu'il soit pour nous des absents, nous croyons en eux, parce que la foi nous apprend que ce sont des puissances célestes.
On ne lui prescrit pas non plus de se connaître, comme on lui dirait « Connais la volonté de cet homme » : car cette volonté ne nous est pas présente, nous n'en avons ni l'intuition, ni l'intelligence, sinon grâce à la manifestation de signes extérieurs ; encore, ces signes, y croyons-nous plus que nous ne les comprenons !
On ne lui dit pas non plus ces paroles comme on dirait à quelqu'un « Regarde ton visage », ce qui ne se peut faire que dans un miroir. Car notre visage lui aussi échappe à notre vue : il ne se trouve pas là où peut se diriger notre regard.
Mais lorsqu'on dit à l'âme « connaît-toi toi-même », dès l'instant qu'elle comprend ces paroles« toi-même », elle se connaît ; cela, pour la simple raison qu'elle est présente à elle-même. Si au contraire elle ne comprend pas ce qu'on lui dit, elle ne peut nécessairement pas le faire. Ainsi ce qu'on lui demande de faire c'est ce qu'elle fait, dès qu'elle comprend le commandement."
Saint Augustin, De Trinitate, livre 10,chapitre neuf, section 12, traduction par G. Chomienne (?) dans La Trinité, Magnard, 1985, pp. 89-90 (excellent livre, malheureusement introuvable)
Il y aurait beaucoup à dire sur ce petit texte. On pourrait le faire dialoguer avec Douglas Harding, Utpaladeva, Abhinavagupta ou Shankara. Comme ce n'est pas ici le lieu, je me bornerais donc à rapprocher, à la spartiate, la fin du texte de ce que dit Shankara sur le "Tu es cela" vedântique. Shankara comme Augustin précise qu'il ne s'agit pas de croire qu'on est le brahman, ni de l'imaginer, ni de l'évoquer, ni même de le "réaliser" (bhâvanâ).
Ensuite, on retrouve dans ce "Connais-toi toi même" delphique le caractère paradoxale du "Tu es cela" védântique : A quoi bon une injonction de se connaître ? Comment peut-on s'ignorer comme conscience, alors que la conscience est l'essence même de toute connaissance comme de toute évidence ? Voilà pourquoi Augustin dit aussi "C'est donc un étrange problème...".
En fait, c'est un énoncé performatif, en ce sens que, comprendre cet énoncé, c'est faire ce qu'il commande, et inversement. La reconnaissance de soi toujours-déjà-présent suffit à partir du moment où l'on connaît le sens précis des termes, "connais", "toi-même", "tu" et "cela". Ici, la seule "pratique" est de comprendre le sens de la phrase une fois compris le sens des mots.
Enfin, pourquoi Augustin parle-t-il de la connaissance de soi dans un livre sur la Trinité ? C'est que l'âme, "à l'image et ressemblance de Dieu", est elle-même trinitaire, principalement parce qu'elle est relation, relation dialectique. On retrouve cette idée dans le Trika interprété par Abhinavagupta selon la philosophie de la Reconnaissance : la "triade" de ses trois déesses incarne alors le sujet, l'objet et les moyens de connaissance droite (perception, inférence, témoignage digne de foi). Augustin parle plutôt de l'entendement, de la mémoire et de la volonté.
Mais Charles de Bovelle, dans son Livre du Sage, fait correspondre la trinité divine avec la trinité de la connaissance humaine, sujet-connaissance-objet. Encore faut-il comprendre cette triade, c'est-à-dire l'appréhender comme un ensemble dialectique. Eh oui, tout cela nous amène à la célèbre et terrible trilogie "thèse antithèse synthèse". Avant d'être la terreur des étudiants, elle est le cœur de toute pensée intégrale.
PS : je rappelle que mon ami José Leroy a écrit un livre clair et concis sur le Connais toi toi-même dans la tradition philosophique occidentale.
Ce précepte qu'elle reçoit, le Connais-toi toi-même, comment se soucie-t-elle de le mettre en pratique, si elle ne sait ce que signifie le connais et le toi-même ? Dès lors qu'elle comprend ces deux mots, c'est qu'elle se connaît aussi elle-même.
Car on ne dit pas à l'âme « connaît-toi toi-même », comme on lui dit « Connais les Chérubins et les Séraphins » : bien qu'il soit pour nous des absents, nous croyons en eux, parce que la foi nous apprend que ce sont des puissances célestes.
On ne lui prescrit pas non plus de se connaître, comme on lui dirait « Connais la volonté de cet homme » : car cette volonté ne nous est pas présente, nous n'en avons ni l'intuition, ni l'intelligence, sinon grâce à la manifestation de signes extérieurs ; encore, ces signes, y croyons-nous plus que nous ne les comprenons !
On ne lui dit pas non plus ces paroles comme on dirait à quelqu'un « Regarde ton visage », ce qui ne se peut faire que dans un miroir. Car notre visage lui aussi échappe à notre vue : il ne se trouve pas là où peut se diriger notre regard.
Mais lorsqu'on dit à l'âme « connaît-toi toi-même », dès l'instant qu'elle comprend ces paroles« toi-même », elle se connaît ; cela, pour la simple raison qu'elle est présente à elle-même. Si au contraire elle ne comprend pas ce qu'on lui dit, elle ne peut nécessairement pas le faire. Ainsi ce qu'on lui demande de faire c'est ce qu'elle fait, dès qu'elle comprend le commandement."
Saint Augustin, De Trinitate, livre 10,chapitre neuf, section 12, traduction par G. Chomienne (?) dans La Trinité, Magnard, 1985, pp. 89-90 (excellent livre, malheureusement introuvable)
Il y aurait beaucoup à dire sur ce petit texte. On pourrait le faire dialoguer avec Douglas Harding, Utpaladeva, Abhinavagupta ou Shankara. Comme ce n'est pas ici le lieu, je me bornerais donc à rapprocher, à la spartiate, la fin du texte de ce que dit Shankara sur le "Tu es cela" vedântique. Shankara comme Augustin précise qu'il ne s'agit pas de croire qu'on est le brahman, ni de l'imaginer, ni de l'évoquer, ni même de le "réaliser" (bhâvanâ).
Ensuite, on retrouve dans ce "Connais-toi toi même" delphique le caractère paradoxale du "Tu es cela" védântique : A quoi bon une injonction de se connaître ? Comment peut-on s'ignorer comme conscience, alors que la conscience est l'essence même de toute connaissance comme de toute évidence ? Voilà pourquoi Augustin dit aussi "C'est donc un étrange problème...".
En fait, c'est un énoncé performatif, en ce sens que, comprendre cet énoncé, c'est faire ce qu'il commande, et inversement. La reconnaissance de soi toujours-déjà-présent suffit à partir du moment où l'on connaît le sens précis des termes, "connais", "toi-même", "tu" et "cela". Ici, la seule "pratique" est de comprendre le sens de la phrase une fois compris le sens des mots.
Enfin, pourquoi Augustin parle-t-il de la connaissance de soi dans un livre sur la Trinité ? C'est que l'âme, "à l'image et ressemblance de Dieu", est elle-même trinitaire, principalement parce qu'elle est relation, relation dialectique. On retrouve cette idée dans le Trika interprété par Abhinavagupta selon la philosophie de la Reconnaissance : la "triade" de ses trois déesses incarne alors le sujet, l'objet et les moyens de connaissance droite (perception, inférence, témoignage digne de foi). Augustin parle plutôt de l'entendement, de la mémoire et de la volonté.
Mais Charles de Bovelle, dans son Livre du Sage, fait correspondre la trinité divine avec la trinité de la connaissance humaine, sujet-connaissance-objet. Encore faut-il comprendre cette triade, c'est-à-dire l'appréhender comme un ensemble dialectique. Eh oui, tout cela nous amène à la célèbre et terrible trilogie "thèse antithèse synthèse". Avant d'être la terreur des étudiants, elle est le cœur de toute pensée intégrale.
PS : je rappelle que mon ami José Leroy a écrit un livre clair et concis sur le Connais toi toi-même dans la tradition philosophique occidentale.
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