Dans les cercles spirituels, tous ou presque croient aux expériences de "mort imminente" (NDE en anglais). Le cerveau étant temporairement inactif suite à un coma ou une maladie, l'expérience consciente resterait néanmoins possible, ce qui constituerait une preuve de l'existence de la conscience indépendamment du cerveau.
Un livre est en tête des ventes aux USA sur le sujet, dans lequel un neurochirurgien rapporte qu'il a pénétré le "Cœur" (the Core) - un monde merveilleux, un paradis -, et que le "Mal existe seulement pour mettre en valeur le libre-arbitre" (soit dit en passant, c'est à cause de ce genre d’argument que la croyance en un Dieu personnel me paraît profondément immorale).
Sam Harris, athée militant et ancien pratiquant du dzogchen, critique son livre. Les NDE n'apportent aucune preuve crédible d'une activité consciente indépendante d'une activité cérébrale. Puis, à contre-pieds de ce que l'on attend d'un matérialiste, il rapporte l'expérience d'un enseignement reçu par lui en rêve :
"Le lama dans mon rêve commença par demander qui j'étais. Je répondis en donnant mon nom. Apparemment, ce n'était pas la réponse qu'il attendait.
"Qui es-tu ?" demanda-t-il à nouveau. A présent, il me fixait droit dans les yeux et pointait mon visage avec le doigt tendu. Je ne savais pas quoi dire.
"Qui es-tu ?" dit-il à nouveau, toujours en pointant son doigt.
"Qui es-tu ?" dit-il une dernière fois, mais à ce moment il déplace son regard et son doigt, comme s'il s'adressait à présent à une personne sur ma gauche. L'effet était assez époustouflant, car je savais (pour autant que l'on puisse savoir quoi que ce soit dans un rêve) que nous étions seuls. Le lama pointait clairement vers quelqu'un qui n'était pas là, et soudain j'ai pris conscience de ce que je considère dorénavant comme une vérité importante sur la nature de l'esprit : subjectivement parlant, il n'y a que la conscience et ses contenus ; il n'y a pas de Soi "à l'intérieur" qui soit conscient. La sensation d'être l'expérimentateur de notre expérience, plutôt que d'être identique à la totalité de notre expérience, est une illusion. Le lama dans mon rêve semblait déconstruire cette sensation d'être un Soi et, durant un bref instant, il l'a ôté de mon esprit. Je me réveillais avec la certitude d'avoir aperçu quelque chose de profond."
Ce qui est intéressant dans cette anecdote, c'est que le lama pointe son absence de visage, exactement la même que je vois et que vous voyez sans doute en ce moment dans la direction pointée par ce doigt :
Dans la tradition du dzogchen, tradition à laquelle appartenait ce lama et à laquelle s'intéressait Harris, ce doigt qui pointe est une méthode simple pour introduire l'élève à son "vrai visage" dépourvu de tous traits personnels :
Par la suite, Harris a rencontré, semble-t-il, ce lama au Népal. Mais, sceptique et, surtout, honnête, il n'en n'a pas tiré la conclusion que sa conscience avait voyagé hors de son corps et qu'il avait rencontré ce lama "en rêve".
De fait, les traditions non-dualistes n'affirment pas qu'il existe une conscience indépendante du corps et qui aurait le pouvoir de sortir de ce corps, notamment durant les rêves. C'est bien là une croyance populaire, mais elle est réfutée dans presque tous les textes que je connais, à commencer par des penseurs Gaudapâda, et jusqu'à un auteur pourtant visionnaire au plus haut point comme Dudjom Lingpa. Selon eux, le doigt qui pointe, pointe vers une conscience qui est partout et nulle part. La conscience n'est pas une chose localisée dans une dimension spatio-temporelle. Elle est l'espace qui accueille toutes les expériences. Ce sont les expériences qui se succèdent en nous - en la conscience - qui produisent l'illusion d'un déplacement. La conscience ne se déplace pas. Elle n'est nulle part. Tout lieu a lieu dans l'ici-et-maintenant de la conscience.
Toutefois, le doigt qui pointe établit-il que la conscience existe indépendamment du cerveau ?
D'un côté, oui, car mon cerveau, si on me le montre sur un écran, là-bas à un mètre, apparaîtra en réalité ici, à zéro centimètres, dans l'espace vide et conscient que l'on peut nommer "conscience". Il semblerait ainsi que le cerveau ne puisse apparaître hors de la conscience et sans elle, ce qui établirait l'indépendance de la conscience par rapport au cerveau et à toutes choses.
D'un autre côté, force est de constater également que la conscience ne manifeste rien sans cerveau, puisque la moindre altération dudit cerveau entraîne une altération de la conscience comme pouvoir de manifestation. Quand le cerveau reçoit un choc, ce pouvoir semble même cesser (provisoirement). De même durant le sommeil profond. Le non-dualiste répondra sans doute que ce n'est pas la conscience qui disparaît comme pouvoir de manifestation, mais ce sont simplement les objets qui disparaissent. Peut-être. Mais en quoi une conscience qui ne manifeste rien est-elle différente d'une absence de manifestation - donc d'une absence de conscience ? Une nuit noire est bel et bien une nuit noire : si un rayon de lumière la traverse, mais que cette nuit reste noire en l'absence d'objets présents pour refléter et ainsi rendre cette lumière évidente, alors en quoi diffère-telle d'une nuit noire sans rayon de lumière qui la traverse ? Je note, au passage, que l'existence, maintenant et après la mort, d'une conscience impersonnelle, n'est guère différente pratiquement de l'inconscience dont parlent les matérialistes. "Je suis conscience éternelle, omniprésente comme l'espace. Après la mort ? Plus de corps-esprit, plus d'histoire individuelle !" Admettons. Mais alors quelle différence cela fait-il avec le matérialiste qui croit que seul l'espace infini, omniprésent, éternel et impersonnel persistera après sa mort et toutes les morts ?
Bref, quelle différence entre une conscience impersonnelle et l'inconscience pure et simple ?
Je note également que Douglas Harding émet des réserves quant à cette conscience impersonnelle. Il avoue qu'elle ne le console pas entièrement. Une survie ne peut-être que personnelle, ou alors la différence entre survie et non-survie ne sera plus qu'un mot. N'est-ce pas ?
Subjectivement, tout est dans et par la conscience.
Objectivement, tout est dans et par le cerveau, lequel dépend à son tour d'innombrables objets, jusqu'à l'univers entier.
D'un point de vue, je suis conscience absolument indépendante.
De l'autre, je ne suis que dépendance.
Peut-on réconcilier ces deux points de vue ?