lundi 11 mars 2013

Il n'y a pas d'autre

La vacuité n'est pas le néant. Mais il est aisé de la confondre avec une sorte de nihilisme. L’Occident a compris le dharma du Bouddha comme un culte du néant. Mais l'Occident a une excuse : la vacuité n'est pas facile à entendre. Au reste, de nombreux textes bouddhistes eux-mêmes ont pris la vacuité pour un néant et ont dès lors cherché à corriger cette doctrine. Mais c'était un enseignement de l'Omniscient. Comment corriger l'Omniscient ? En affirmant que la doctrine de la vacuité n'est qu'un stratagème pédagogique, une préparation à autre chose. Le "non-soi" n'est pas le fin mot du dharma.



En feuilletant le Bulletin d'études tibétaines, je tombe sur ce passage d'un texte dzogchen "ancien" traduit par Karen Liljenberg :

"Le Soi existe. Il n'y a pas d'autre. Il y a une perfection spontanée qui est le grand Soi. Il ne fait qu'un avec l'Idée de l'Omnibon. Il n'y a donc pas d'autre. Si l'on (admet la doctrine du) non-Soi, on tombe dans l'erreur du nihilisme.
(...)
Les soûtras et les traités dont le sens est sujet à interprétation affirment (que les phénomènes) sont vides. De plus, ils affirment qu'ils n'existent pas. Et cette vacuité est expliquée comme non-Soi. (...) C'est là la théorie non-bouddhiste du nihilisme, si difficile à corriger, et c'est une faute grave. Nous enseignons donc qu'une théorie conceptuelle est moins dangereuse, car elle est plus facile à corriger.
Même une méditation sans pensées est une pensée qui risque fortement de conduire à (une théorie) nihiliste difficile à corriger".

Le texte ajoute que les constructions imaginaires comme des divinités visualisées ont l'avantage de pouvoir être manipulées plus aisément. Elles sont moins ancrées que la croyance nihiliste une fois celle-ci installée. Il fait allusion à la métaphore nâgârjunienne du serpent : si l'on parvient à attraper le serpent, tant mieux car on s'en trouve débarrassé. Mais si on le prend mal, il nous mord et nous sommes empoisonnés. La doctrine de la vacuité est donc une méthode puissante, mais à double tranchant :

"La vacuité est difficile à contredire, (alors que) les constructions imaginaires (comme les divinités visualisées auxquelles on s'identifie) sont faciles (à modifier)".

Ce texte propose donc une relecture inclusiviste de la doctrine de la vacuité :

"Mais si l'on objecte : Cette (identité imaginaire du "Grand Soi") n'est-elle pas une construction conceptuelle (et donc fausse) ? Non, elle n'est pas un concept en ce sens là, car rien n'est permanent (selon nous). Donc l'autre n'existe pas. (Mais) comme le néant n'existe pas (non plus), le Soi est inclus (dans le Grand Soi)".

Source : Karen Liljenberg, "On the Thig le drug pa and the sPyi chings", in Revue d'études tibétaines, n° 24

Il n'est pas étonnant que ce texte s'intitule "La (perfection) qui inclut tout" (spyi chings... ou bcings ?)
On rapprochera cette rhétorique de l'inclusion de la doctrine de la "pervasion" (vyâpti) dans la Reconnaissance. La conscience est parfaite car elle inclut tout, même l'inconscience. On pourra aussi comparer ce texte avec le Chant de l'artisan (Ribhugîtâ).

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