La plupart des traditions considèrent le monde et les phénomènes en général comme des ennemis qu'il s'agit de supprimer.
Ainsi, le célèbre "yoga de Patanjali" projette de "stopper les opérations du psychisme". Le but est d'arriver à un état où tout phénomène a disparu, un vide total où l'individu est pareil à une bûche de bois.
Il est vrai qu'une fois découverte la paix intérieure, il est tentant de s'y réfugier en bloquant l'extérieur, comme le prône dans ce passage un mystique chrétien. Si des âmes veulent "vivre dans l'unité", elle doivent "demeurer le plus retirées et recueillies que faire se pourra, afin que leur unité qui est en Dieu demeure. Car, s'épanchant en complaisance, elles se tirent de l'unité de l'unité intime et intérieure qui est leur fondement : autrement, il n'y a point d'unité et de charité spirituelle. Autant qu'il se peut elles ne doivent pas se toucher à leurs habits, ni s'approcher, pas même se regarder, parce que le regard est l'application de l'âme hors d'elle-même et une occupation extérieure et distrayante devers la créature, et par conséquent tendant à elle et éloignant de Dieu" (J.-J. Olier, L'Âme cristal, p. 176)
D'autres maîtres en oraison (=en "méditation") rétorquent que c'est là une erreur et une impasse, car Dieu est partout, à l'intérieur comme à l'extérieur. Une contemplation qui fuit l'extérieur est une contemplation rigide qui ne peut fondre la volonté individuelle en la volonté divine. Comme l'enseigne le capucin Simon de Bourg-en-Bresse, la véritable contemplation doit dépasser la dualité entre intérieur et extérieur, car tout est en Dieu comme une éponge dans l'océan.
D'autres traditions voient dans ce rejet de l'extérieur un chemin dangereux où "les phénomènes apparaissent comme des ennemis". Pourtant, c'est ce que font la plupart des traditions. Elles rejettent l'extérieur. Il existe ainsi des retraites de méditations où il est formellement interdit de croiser les yeux d'un autre participant !
Au fond, tout dépend de notre vision des rapports entre l'absolu et les phénomènes. Si nous avons une vision dualiste de ces rapports, comme dans le Vedânta ou le Sâmkhya, alors notre pratique sera dualiste.
A l'opposé, certains se satisfont bien facilement d'une "non-dualité" où tout se vaut et où toute pratique est répudiée. A mon avis, cette doctrine est la transpositions spirituelle de l'égalitarisme mondialiste. Ou bien on se contente d'une "spiritualité" sans pratique de méditation, une spiritualité toute grossière et extérieure.
La plongée à l'intérieur est nécessaire, mais elle est une phase, suivie d'une phase d'intégration de l'extérieur, puis d'un retour à l'intérieur, et ainsi de suite. La vie spirituelle est faite de cette alternance. C'est ainsi seulement que l'intérieur et l'extérieur peuvent s'harmoniser.
Cette intégration, cette synthèse est le but du Tantra. Elle s'incarne dans le ressenti de la respiration qui exprime naturellement ce va-et-vient entre intérieur et extérieur. Ca n'est certes pas un hasard si le Vijnâna Bhairava Tantra commence et finit sur la pratique du souffle. Il est le grand pont, la grande relation et le grand unification de tous les opposés, en même temps qu'il manifeste sensiblement le jeu des opposés.
C'est ainsi que nous pouvons éviter que le monde devienne notre ennemi.
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