On pourrait être tenté de dire : "Il n'y a que conscience, sans personne qui agit", c'est-à-dire qu'il n'y a que l'océan, pas de vagues. Il n'y a qu'un seul mouvement total, pas de parties (ce qui, déjà, sonne bizarrement). Les individus et leur libre-arbitre n'existent pas. Il semblent présent tant qu'ils ne sont pas examinés avec attention, tels des fantômes.
Mais cette opinion me semble contradictoire.
Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de conscience sans liberté. En effet, l'essence de la conscience même est liberté, pour autant qu'être conscient, c'est être indépendant, doué du pouvoir d'agir, de se mouvoir par soi, sans cause antérieure autre que soi. Autrement dit, si je suis un être conscient, alors nécessairement je peux commencer absolument des chaînes de causes et d'effet. Cela n'a pas besoin de preuve, puisque chacun en fait l'épreuve. Ou plutôt, la preuve de la liberté est dans l'expérience immédiate de cette liberté. De fait, il en va de la liberté comme de la conscience : elles sont des pouvoirs de fait qui ne peuvent ni être prouvés, ni être réfutés, car de même que, pour nier être conscient, il faut être conscient, pour nier la liberté, il faut être libre. Nier la liberté, c'est donc encore l'affirmer.
Or, la situation est identique à l'échelle individuelle : je suis conscient. Certes, mon pouvoir de conscience est limité ; néanmoins, je suis doué de libre-arbitre. C'est un pouvoir de liberté limité dans son objet (le choix), mais c'est quand même de la liberté. Et encore, ces limites sont à interroger. Car ma liberté est "limitée" en ce sens que je ne peux faire tout ce que "je veux". Mais je dispose bien d'un pouvoir de choisir que rien ni personne ne peuvent m'ôter. Et ce pouvoir de choisir, que l'on appelle aussi "libre-arbitre", est de la sorte infini en son genre. Certes je ne peux choisir de voler par ma simple volonté, c'est-à-dire de soustraire ce corps aux lois de la nature. Mais je peux choisir d'accepter ou non ce fait. Et, même si je ne peux choisir mes représentations, mes goûts, mes penchants, etc., je reste libre de leur dire "oui" ou "non". Je ne choisi pas d'avoir soif. Mais je peux choisir de dire "non" à cette soif. Cela peut paraître peu, mais c'est un pouvoir invincible. Il en va de même pour ma conscience. Même si j'ai conscience de peu, cela n'est pas "un peu" de conscience.
De plus, cette conscience individuelle et ce libre-arbitre ne vont jamais l'un sans l'autre. Que l'on y songe en effet : Pouvons-nous imaginer une conscience qui serait entièrement privée de liberté ? Serait-ce encore une conscience ? Inversement, faisons-nous jamais l'expérience d'un choix qui soit totalement privé de toute conscience ? - Non, de fait. Et de ce fait, nous sentons intuitivement que conscience et liberté sont, au fond, deux mots qui pointent la même vérité. Conscience et liberté sont deux faces d'une même réalité.
Par conséquent, nier la liberté, c'est nier la conscience. Et donc, nier la liberté ou le libre-arbitre, c'est affirmer, sans toutefois le dire explicitement, qu'il n'y a qu'un enchaînement de causes et d'effets sans début ni fin absolus. Autrement dit, il n'y a que matière et énergie. En d'autres termes, il est impossible de nier le libre-arbitre sans être matérialiste. Affirmer qu'"il n'y a personne" et que le libre-arbitre n'est jamais qu'une illusion, cela revient à défendre le matérialisme : il n'y a que des choses agissant sur des choses, sans liberté ni conscience.
Pour ma part, je tiens que liberté, conscience et, même, désir, sont inséparables. Pas moyen de nier l'un sans nier les autres. Quant à la "personne", elle ne désigne rien d'autre qu'une hypostase, c'est-à-dire une (libre) contraction de la liberté, une auto-limitation qui est aussi un désir et un acte de conscience.
Donc il n'y a pas de conscience sans libre-arbitre, et nier le libre-arbitre revient à nier la conscience. Donc l'opinion mentionnée plus haut se contredit en effet elle-même.
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