dimanche 18 novembre 2007

Nous sommes capables

Douglas E. Harding (1909-2007) fut l'un des philosophes les plus originaux du siècle passé. Plus connu comme inventeur d'une série d'outils expérimentaux pour la connaissance de soi, il eut avant cela une longue période de réflexion solitaire. Le premier fruit de ses méditations fut un livre imposant (plus de 600 pages tapées à la machine) qui parût en Angleterre en 1952. Mais, bien qu'il bénéficia d'un certain succès d'estime, Harding se sentait frustré par ce qu'il ressentait comme son incapacité à faire partager sa vision.
Cette vision est pourtant fort simple : elle consiste à prendre au sérieux la vision que nous avons de nous-mêmes et du monde à partir du point de vue de la première personne. Cette approche permet de prendre conscience des différences vitales entre ce que nous paraissont être vus du dehors, et ce que nous voyons de nous-mêmes, ici, "à zéros centimètres" de nous-mêmes. Ici, en effet, au-dessus des épaules, je ne vois pas une tête, mais je vois un espace conscient et illimité, capacité d'accueil pour le monde, les autres et pour "mon" visage, là-bas dans le miroir. Bref, selon lui "voir qui a le problème est la solution du problème".
Cet espace que je vois, "ici", au-dessus des épaules, englobe en fait tout ce que je peux voir. Il embrasse la hiérarchie des choses visibles, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. D'où le titre du livre, La hiérarchie du ciel et de la terre, réédité par The Shollond Trust en 1998.
C'est un véritable livre-univers, rempli de notes, de citations et de dessins. Il expose une théorie selon laquelle il est possible de décrire l'ordre de l'univers à travers la multitude des points de vue possibles, tous étant inclus dans le point de vue de la première personne.
Tout cela en fait une lecture passionnante mais de longue haleine. Harding s'appuie sur de nombreux philosophes et hommes de science qui l'ont précédé dans son approche perspectiviste. On sent, dans son effort pour hiérarchiser les points de vue, l'esprit de l'architecte qu'il était. Bien sûr, beaucoup des connaissances scientifiques qu'il convoque sont dépassées. Cependant, l'essence de son message demeure vivante et parfaitement actuelle.
C'est à travers les "exercices" qu'il inventa par là suites avec quelques amis, et qu'il présenta le restant de sa vie à travers le monde, qu'il trouva le moyen de faire partager sa vision. Des outils simples, voire enfantins, et pourtant d'une grande profondeur. Ils nous permettent de renouer avec la grande tradition de la philosophie comme connaissance de soi, avec son regard neuf et naïf.
D. E. Harding insistait sur le fait que cet Espace qui embrasse tout n'a pas de nom en soi, pas d'appellation privilégiée, contrôlée ou enregistrée. Mais il utilisait souvent le mot de "capacité". Car cet Espace, cette ouverture immense nous rend capables, capables de vie et de relation aux autres. C'est cette immensité limpide qui rend possible toutes nos expériences. Elle est, ainsi, capacité, puissance, conscience. Voici un poème d'un auteur anglais que Harding appréciait beaucoup, Thomas Traherne :
Je n'ai senti ni écume ni matière en mon âme,
Ni rebords ni frontières, comme nous les voyons dans un bol.
Mon essence était capacité,
Qui sentait toutes choses.
La pensée qui jaillit de là s'élève d'elle-même...
Elle n'agit pas depuis un centre sur un objet au loin,
Mais est présente quand elle voit,
Etant avec l'Etant elle sent tout ce qu'elle fait.
"My Spirit", in Complete Works of Thomas Traherne, London, 1903, p. 41, cité dans The Hierarchy of Heaven and Earth, p.1.

5 commentaires:

  1. Merci Arnagala, pour ton travail et ton blog. Douglas Harding a laisse une vision tellement vrai, tellement simple qu'elle en devient inacceptable, d'une certaine facon. Dans ton blog tu disais inhumaine. Oui, et c est etrange cette in-humanite de la verite.

    Sur un autre point maintenant, etudiant avec mes petits moyens la philosophie du Cachemire et rencontrant avec grand plaisir (quoique toujours diminuant) les gourous detenteur et vendeur du produit Cachemirien, (je crois) malheureusement chacun a sa sauce, je m'heurte regulierement a reference a des faits historiques differents. Je ne sais plus qui croire. Par exemple a en ecouter certain Abhinavagupta aurait ete marie et aurait eu deux enfants et aurait dit ou ecrit qu'il ne pratiquait pas de rite sexuel puisqu il y avait une femme en lui (energetique) et d autres parlent de ces orgies de plusieurs jours qu il aurait organise, pas de femme pas d enfant. Les premiers parlent d une philosophie Cachemirienne dont Abhinavagupta aurait ete le plus brillant exemple et autour de ca de nombreuses sectes tantriques qui auraient prolifere au cachemire, et pratique toute sorte de rituel, etc...
    Je crois n etre pas le seul a etre perdu dans ces eaux post new-ages ou reference a la philosophie Cachemirienne base sur le Trantraloka d Abhinavagupta (que peu ou meme aucun de pratiquant lisent), les massages Cachemirien, les rites sexuels ont une place privilegiee. Mais qu'en etait il a cette epoque? que savent les universitaires sur de cette epoque? Voila peut etre une idee de post, ecrire sur l histoire du Cachemire du medieval, une bonne base pour construire. Bon si tu ecrivais quelque chose la dessus, je t en serai tres reconnaissant. Vraiment.

    Bien a toi,
    Petit scarabee

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  2. Petit Scarabee,

    ton questionnement est juste et legitime mais pourquoi ne pas juste te centrer sur l'essence des messages de ces maitres qui nous sont parvenus du passe et voir comment cela peut s'appliquer a toi ? Je doute franchement qu'Abhinavagupta ait "vendu" son enseignement. C'est bien la le probleme aujourd'hui : l'aspect mercantile. Non ? Tous ces textes nous invitent au Silence et a rien d'autre. Ils resonent en nous. N'est-ce pas la l'Essentiel ?

    Dans le Silence...
    KT

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  3. Speciale dedicace a Petit Scarabee

    "Mais le maitre vous interpelle : "Pourquoi vous melez vous de ca ? Tout cela est encore le chaos, le chaos de l'illusion !" Laissez donc les choses etre comme elles sont car des que vous interferez vous vous oubliez. L'action est l'illusion et la non-action le Soi.
    Le disciple pense toujours a ce qui est faux et ensuite il demande "que faire Maharaj ?" Le maitre lui dit d'arreter de priser du tabac et la premiere chose qu'il fait c'est de plonger le nez dans sa blague a tabac ! Vous dites que tout est faux mais vous vous y complaisez quand meme. Il n'y a que deux choses en ce monde : l'existence mondaine et la realite. Si l'on s'interesse a ce qui se passe dans le monde on s'y enlise tres vite ; c'est pourquoi les hommes sont tous alienes.
    Si vous arreter de vous preoccuper du monde, la connaissance vous sera revelee. C'est l'implication du mental dans le monde materiel qui cree l'etat d'ignorance, la non-action est en revanche le signe de l'etat divin. Dieu demeure dans un temple dont l'exterieur n'est que desert et desolation. Pourquoi donnez-vous de la valeur a ce desert ? Pour ce Dieu qui est en nous-memes, vivre dans ce desert c'est vivre dans l'etat miserable de l'ignorant."
    SIDDHARAMESHWAR MAHARAJ
    "Embrasser l'immortalite" (Amrut laya)

    Dans le Slence...
    KT

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  4. bonjour..cet Espace d'acceuil situé au niveau de la tete, cette transparence peut t'elle survenir a l'ensemble du corps ?

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    1. Oui. Voir que les choses apparaissent dans la Vision transparente. Sentir que les sensations apparaissent dans l'espace transparent. C'est pareil. Le corps entier baigne dans l'espace, comme des vagues dans la mer.

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