L’autre jour, en me baladant sur une plage reculée, je tombe sur un groupe d’étudiants indiens. Ils font philosophie, et ne tardent pas à m’avouer leur admiration pour Derrida, Deleuze et Foucauld, la Sainte Trinité postmoderne. Par contre, ils ne connaissent rien aux philosophies de l’Inde. Je leur dis que je viens d’une institution fondée par Derrida et que j’y donne des conférences sur une philosophie de l’Inde. Ils tombent des nues.
Les baba-rasta-psycho-transe-prophètes – les touristes quoi – n’y connaissent rien non plus. Certains viennent en Inde depuis trente ans, mais ils ne savent rien des coutumes traditionnelles. Leur seule préoccupation est de trouver le meilleur cannabis et de se raconter leur trip avec Ayahuasca et compagnie. Ils ne jurent que par Gaïa et la Pacha Mama. Cela étant, leur conversation n’est guère élaborée. Cela se comprend : au moment où je fini de traduire, vers la midi, ils en sont à leur quatrième joint. Ils jouent bien sûr du didgeridoo. Bien joué, c’est joli. Mais là, cela sonne plutôt comme une bande de chiens qui se battent. Les plus âgés vendent des tarots, du Yijing-avec-votre-arbre-de-vie, des lectures d’aura et autres méthodes invétérées. Malgré tout, beaucoup croient connaître l’Inde. Ils « sentent » ses vibrations…
Les brahmanes, de leur côté, ignorent la philosophie occidentale et méprisent l’Occident avec une superbe qui n’a d’égal que leur crétinerie. Eux aussi croient connaître « the West » : ils ont vu J.C. Van Damme et Steven Seagal. Le temple principal de Gokarna est « interdit aux étrangers ». Seule compte la couleur de peau. Si vous êtes un Indien Musulman qui vient pour se faire exploser chez les mécréants Hindous (cela est déjà arrivé !), vous passez sans problème.
Ce temple est un véritable business, avec ses listes de services tarifés et son coffre-fort bien en vue en guise de « tronc ». C’est sans doute leur manière de combattre la simonie.
Bien entendu, les brahmanes sont nettement moins dangereux que nos amis barbus. Les traditionnalistes indiens affirment volontiers que la Mecque était un sanctuaire de Śiva (« Makeśvara ») envahit un jour par les abrahâmistes. Les mêmes superstitions y sont à l’œuvre depuis, avec le fanatisme en plus et le fantasme du pouvoir universel.
Quoi qu’il en soit, ces mondes coexistent, mais s’ignorent. Gokarna est une ville sacrée de Śiva, un lieu de pèlerinage important et fort ancien. Le centre ville est aujourd’hui parsemé de boutiques pour touristes étrangers et de maisons de prêtres brahmanes. Mais ils pourraient aussi bien se trouver sur deux planètes !
Ce phénomène du malentendu, de la coexistence dans l’ignorance de l’autre, est le phénomène culturel majeur de notre temps.
Vivent les chiens !
Et les vaches solitaires
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