Sur le chemin du temple, les veuves sont reduites a la mendicite
Les antimodernistes crachent sur la démocratie. C’est presque, pour eux, un signe de ralliement.
L’un de leur arguments consiste à dire que le « plus » ne peut venir du « moins », le parfait de l’imparfait, l’unité de la multitude. Et donc (bien que le lien soit laissé vague), la démocratie ne saurait accoucher de rien de bon. Comme le répète Platon et tous les traditionalistes depuis deux millénaires, accorder le pouvoir à la multitude, c’est de fait renoncer à un pouvoir organisateur, c’est laisser une illusion se donner libre carrière. « Démocratie » est une contradiction dans ses termes. La foule ne saurait détenir aucun pouvoir réel, car elle n’a elle-même aucune réalité.
Cependant, toutes les traditions ne se joignent pas cette condamnation radicale.
Pour commencer, la démocratie grecque ne se présente pas, à l’origine, comme un projet profane, mais comme un don des dieux. Depuis, la Franc-maçonnerie, pour ne prendre que l’exemple le plus célèbre, se veut une tradition d’origine pré-moderne, ésotérique, sacrée, liée aux Mystères, mais résolument vouée à la construction d’un monde démocratique.
En Orient, le bouddhisme instaura d’emblée une rupture avec l’ordre féodal. Le Bouddha affirme que la valeur d’un être ne vient pas de sa naissance, ni de sa place dans un « ordre naturel » parfaitement artificiel, mais qu’elle consiste avant tout dans ses intentions, lesquelles sont libres. Il remplace le dharma cosmique, naturel, impersonnel, à reproduire sans se poser de questions, par un dharma individuel, personnel, inventé en commun (par exemple, dans la saṃgha) et sans cesse renouvelé. De plus, on sait que le Bouddha était issu d’une communauté qui pratiquait une forme de gouvernement démocratique. L’Inde en a conservé quelque chose dans ses conseils de village, malgré les siècles de féodalité.
Mais les non-dualismes, demandera-t-on ? Eh bien, la plupart ont défendu une dualité entre la connaissance de la non-dualité, d’une part, et son éventuelle mise en pratique, de l’autre. L’Eveil doit rester une chose strictement intérieure, privée, individuelle. L’Eveil, pour soi ; aux autres… une indifférence bienveillante. Au mieux, donc, un statu quo, au pire un blanc-seing pour les puissants. Ce qui, en pratique, revient à cautionner les systèmes politiques existants. Qui ne dit mot, consent. Le silence au-delà des concepts peut, n’en déplaise aux esprits confiants mais naïfs, cautionner les pires concepts.
Quand les non-dualismes tantriques – pratiques - arrivaient au pouvoir, ils étaient soutenus par des roitelets. Ils ont donc tous soutenus un ordre féodal sur le modèle du maṇḍala. L’ordre des castes au Népal, par exemple, est l’un des plus rigides, alors même que leurs traditions sont les plus audacieuses du śivaïsme et du bouddhisme. De sorte que la non-dualité du pur et de l’impur est restée confinée dans les cercles d’initiés.
Je ne connais qu’une exception : le dzogchen, la Grande Perfection. Ce système contemplatif a, dans sa forme radicale et la plus ancienne, promu une forme d’accès plus directe à l’Eveil – et donc à l’autorité. Si la Nature de Bouddha, en effet, est également présente en chacun, et si elle est aisément accessible, alors chacun de nous est une autorité potentielle. Ces idées sont, bien sûr, nourries des doctrines des plus beaux soûtras de la Voie Universelle, tels celui de Vimala Kîrti.
Voici un passage ou la Grande Perfection est mise en parallèle avec la démocratie, extrait d’un manuscrit trouvé à Dunhuang, autrefois oasis importante sur la Route de la Soie :
« Quand les accomplissements sont donnés d’en haut, comme quand un roi nomme un ministre, c’est le mode exotérique. Quand la royauté est offerte par le peuple, c’est le mode de la Grande Perfection insurpassable qui se manifeste d’elle-même ».
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