Hommage soit rendu à
l'être orné d'amour
A qui l'Ami[1] apparaît
Sans procédures de visualisation ni
récitation
Préalables.
Explication
de Kṣemarāja :
Gloire
à la déesse unique,
Ce
clair de lune de la conscience,
Pleine
à raz-bord,
Pluie
de félicité
Qui
ôte de toutes choses
Les
ténèbres !
Nombreux
sont les êtres ornés d'amour
Qui
me le demandent, encore et encore
Et
de mille manières pressantes :
Je
vais donc expliquer un peu les hymnes
De
l'auteur de la Reconnaissance[2]
Le nom de l'auteur des Stances pour la reconnaissance du Seigneur est certes digne de louanges.
C'est Utpaladeva, le maître du maître de notre maître. Il percevait sans
interruption et dans toute son étendue le Grand Seigneur comme étant son propre
Soi. Parce qu'il désirait offrir aux gens[3]
cette prise de conscience de leur vraie nature, il composa un recueil d'hymnes
qui est un hymne de gloire, un hymne d'amour ; et il composa aussi des hymnes
au quotidien, ainsi que quelques belles paroles[4]
composées ça et là. De la sorte, ils se mélangèrent peu à peu. C'est en cet
état que le noble Rāma les trouva et, avec Ādityarāja, il rassembla ces hymnes
éparpillés. Mais l'on entend dire que c'est Viśvāvartta qui les a arrangés en
vingt hymnes qu'il nomma selon l'inspiration donnée par notre Soi. Ainsi, ces
recueils d'hymnes sont (aussi) des belles paroles. Nous les expliquons
clairement en nous appuyant sur les traités d'analyse (poétique) connu de tous[5].
Il commence son hymne en adressant une louange à
l'amoureux complètement absorbé dans le Seigneur suprême, si bien absorbé qu'il
n'y a plus de séparation entre eux, et ceci afin de montrer que le souverain bien
n'est autre que de recevoir l'absorption complète en le Seigneur suprême,
absorption qui consiste à se délecter de l'étreinte de la déesse de la fortune
qu'est la liberté. L'Ami apparaîtra à l'être qui (se délecte) ainsi - sans aucune
méthode qui relève de l'illusion de la séparation[6] -
et pas autrement. Cette manifestation de notre Soi comme étant l'Ami se
déploiera seulement par amour, lequel est une absorption complète. Cet être-là
est "orné" de cet amour, c'est-à-dire qu'il en est digne. Mais ne
méritent pas le nom d'amoureux ceux qui s'embarrassent d'un fruit autre que cet
(amour même) et en plus de lui. Car en effet, (l'amoureux) se dit qu'il désire
être absorbé en l'Ami, sans aucune séparation, au moyen d'un amour qui n'est
autre que le Seigneur Śiva, amour qui se déploie en vertu du miracle de
l'amour...
En disant, "seulement de cette manière",
"sans visualiser" etc., l'auteur veut dire que le processus (de
l'amour) n'est pas de ce monde. En effet, le présupposé de toute récitation
comme de toute visualisation est que ce qui a pour essence d'être récitable et
visualisable se manifeste seulement sous telle forme déterminée (à l'issu de la
récitation et de la visualisation). Mais pour l'être orné d'amour, c'est sans
aucune méthode et sans cesse que fulgure sa vraie nature qui est l'Ami, masse
de félicité qu'est la conscience, revêtue de toutes les formes (et aussi bien) dépourvue
de toutes les formes. Voilà pourquoi l'auteur parle (d'un amour) "sans
procédés préalables". Un procédé, c'est la cause préalable prescrite pour
s'adonner à l'étude (des textes sacrés), etc. Dès lors et parce qu'ils sont
"contractés" (par la croyance à la dualité) les procédés ne peuvent
servir de moyen pour ce qui est, par définition, dépourvu de contraction. Seuls
ont accès à cette grâce qu'est l'intelligence intuitive ceux qui on la fortune
d'être entièrement absorbés dans l'être.
Comme le (dieu) le dit dans le traité ancien[7] :
Ici, rien n'est
à exclure...
Pour celui
qui ne se soucie de rien...
De même, il dit dans le Chant du Bienheureux :
Ayant été
absorbé en moi et par moi...
Toutes (les pratiques), comme par exemple le culte
d'offrande de fleurs ou l'oblation au feu, sont embrassées dans la
"visualisation" et la "récitation", lesquels sont, en
essence, manifestation (prakāśa) et prise de conscience (vimarśa). En raison de
leur éminence, seules ces deux (pratiques de la visualisation et de la
récitation) sont mentionnées ici.
Guirlande d'hymnes à Śiva, Utpaladeva, 1, 1.
[1]
Une des traductions possibles de Śiva.
[2]
Utpaladeva, l'auteur des Stances pour la
reconnaissance du Soi comme étant le Seigneur (īśvara-pratyabhijñā-kārikā).
[3]
Y compris les animaux et les dieux.
[4]
Su-ukta : des "bien-dits", des proverbes.
[5]
Prasiddha : qui sont bien connus, reconnus.
[7]
"Ancien"="préalable" (pūrva).
Notez le jeu de mots. Ce traité est le Tantra
de la déesse-guirlande (mālinī), quintessence du Trika.
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