Dakshinâmûrti, témoin de la diffusion du shivaïsme du Cachemire dans le Sud de l'Inde. Il fait le geste de la conscience (cinmudrâ) et tient dans sa main gauche inférieure le texte des Stances sur la reconnaissance (Pratyabhijnâkârikâ)
Voici la suite d'un texte de Kshemarâja sur la "méditation du non-être" (abhâva-bhâvanâ) prescrite dans certains textes shivaïtes, dont le Vijnâna Bhairava Tantra. Selon Kshemarâja, cette méditation n'est, au mieux, qu'une perte de temps et, au pire, une dangereuse impasse. Car en méditant sur le non-être on perpétue la fascination pour l'objet et l'oubli du véritable sujet, la conscience. L'adepte qui s'efforce de produire artificiellement un état d'absence de pensées en bloquant les mouvements de son corps, de son souffle et de son esprit contemple certes le "non-être". Mais celui-ci est un vide passif ou la conscience s'absorbe dans la contrepartie négative de l'état de veille, autrement dit dans une sorte de profond sommeil. Le non-être est l'ombre de l'être. L'ultime empreinte des objets, des constructions mentales dualistes. A ce titre, il est lui-même une construction mentale, seulement plus subtile, et donc plus difficile à reconnaître. Une torpeur qui repose, certes. Mais aussi dépourvue de toute présence d'esprit et surtout incapable de s'éveiller à quoi que ce soit. Kshemarâja essaie de montrer dans ce passage que cet état de "non-être" est un objet factice, un état éphémère, et non le Soi qui est conscience vivante :
"Par ailleurs, comment sait-on qu'il y
a absence de conscience en cet (état de non-être, de méditation sans pensées) ? Ce à quoi l'auteur (des Stances sur la vibration) répond
en disant "Car...". La "réflexion a posteriori" (abhiyoga) est un
discours (intérieur) qui consiste en une prise de conscience qui est
orientation vers cet état (de non-être) où, au sortir de cette méditation (du non-être), l'on se dit "Comment
donc étais-je ?". "A cause de la sensation intime", en raison de
sa force, à cause de cela, puisque l'on se dit avec certitude que
"j'existais (aussi dans cet état de non-être), puisque l'on a la perception
directe que "j'étais dans une profonde inconscience", alors, de ce
fait, il s'ensuit que cet état d'inconscience est lui même un fruit de
l'imagination.
Il l'est aussi pour cette raison que l'on peut s'en souvenir sur
le mode d'un objet présent (à la conscience). Au contraire, cette existence qui
est l'essence de l'état de sujet connaissant, c'est-à-dire de celui qui fait
l'expérience de l'objet présent, cette existence est connue (immédiatement, et non pas sur le mode du "cela").
Assurément, elle n'est pas "non-être". (Même) si tout était non-être,
l'essence indivise de la conscience resterait intacte. L'on ne peut jamais dire
qu'elle est "non-être".
Si l'on objecte que l'on ne peut
se souvenir que de ce qui a été perçu (et) déterminé comme "bleu",
etc. ; et qu'il ne peut (au contraire) y avoir aucune détermination de ce qui
est vide d'être, car l'activité mentale y est quasiment inexistante ; et si,
enfin, l'on demande pourquoi, dans ce cas, nous (avons coutume) de dire que,
"parce que, à un moment ultérieur, nous nous disons "cela existait",
alors il y a eu inconscience" - à tout cela, nous répondons :
Cette cognition inconsciente
(gati) est (seulement) un objet pour
la conscience (et non la conscience elle-même). Car, tant que (cette cognition)
n'est pas déterminée comme objet grammatical en prenant appui sur le sujet
connaissant qui est notre Soi/ soi-même, l'on ne peut s'en souvenir. Le sujet
connaissant, au contraire, est, dans (tous) les états imaginé comme étant
vides, la vérité ultime de la subjectivité non-contractée, même s'il est
contracté. En lui-même, il ne comporte donc aucune multiplicité/ il ne peut
être séparé de lui-même. Par conséquent, ce sujet qui détermine que ("je n'existais
pas dans cet état d'inconscience") est une construction mentale. Donc, si
l'on peut en prendre conscience (seulement) comme "je", alors (ce
sujet-là) est établi/présent seulement par conscience (immédiate) de soi/ comme
conscience de soi/ comme notre propre conscience.
De plus, cet (état d'inconscience
ou de non-être) est "factice" car ce sujet (identifié) au vide a pour
opposé l'univers (des objets). Il est donc, par définition, contraction. Il est
un état dont on se souvient ensuite. Puisqu'il en est ainsi, il n'y a donc
aucune impossibilité logique (dans notre thèse). Cet état est factice, comme il
a été dit :
Par conséquent, absolument tout ce qui est médité,
Que cela soit être ou bien non-être,
Apparaît manifestement comme un fruit construit par l'intellect
Une fois que la méditation a atteint sa perfection.
Ce qui revient à dire que, selon
cette logique même, c'est le Seigneur suprême en personne qui révèle cette
méditation du non-être afin de protéger la connaissance (libératrice) en
égarant les êtres confus.
Cet exemple (de la méditation du
non-être comparée à une inconscience) signifie que l'objet connu et l'objet
connaissable sont toujours en tous points semblables au sommeil profond. Plus
profondément, ceci veut dire que le sommeil profond définit comme inconscience
est aisément réalisé par tout un chacun. A quoi bon, alors, construire artificiellement
un (autre) vide conquis par l'effort du samādhi
? Puisque les deux sont également dépourvus de substances, ils sont identiques
! La plupart des connaisseurs des Upanisads, des Logiciens, des Enumérateurs et
des Bouddhistes, etc. ont sombrés les uns à la suite des autres dans cet
immense océan de l'inconscience qu'est ce vide si difficile à traverser ! De
plus, même ceux qui aspirent à reconnaître l'être comme vibration se sont
heurté à cet obstacle du vide quand leur effort s'est relâché. C'est ce que dit
l'auteur, dans le passage qui va de :
Alors, dans cet espace immense (l'adepte qui manque de vigilance sombre dans l'inconscience)...
Jusqu'à :
...l'inconscient est comme dans un état de profond sommeil.
Reconnaissons-donc que l'auteur
de ce livre déploie un grand zèle pour mettre fin (à cette pratique de la
méditation du non-être qui confond le vide avec le réel). Et, bien qu'il ait
déjà élucidé la chose ici-même, il va l'élucider encore quand il dira :
(Seul) l'effort orienté vers l'effet à produire est anéanti (dans le
sommeil profond, et non l'agent).
Voilà pourquoi j'ai entrepris de
montrer ces défauts. Ceux dont les oreilles sont aguerries par la méditation de
cet enseignement ne doivent donc pas nourrir de colère envers nous. Une fois
les défauts des Bouddhistes mis en lumière, ceux des Vedântins et autres
(adeptes du non-être) deviennent évidents, car leurs logiques se valent. Nous
ne diront donc rien de plus.
Revenons-donc à présent à notre
propre thèse, car nous disons, en effet, que le réel nommé
"vibration" est ainsi : il ne peut être remémoré comme le vide peut
l'être. Car il est impossible qu'il ne soit pas expérimenté à un moment donné,
puisqu'il est partout et toujours infus en tant qu'unique sujet faisant
l'expérience. Et les (Vedântins) disent à ce propos :
Mais quoi ! Qui peut connaître celui qui connaît ?
En outre, quand bien même l'état
de samādhi
deviendrait, à l'issue de ce samādhi,
objet de souvenir en vertu des traces résiduelles du souffle et autres
(circonstances pseudosubjectives), il ne s'agit pas là du réel comme vibration
à strictement parler. Car le (réel comme vibration) est bien plutôt le sujet en
sa transcendance (et immanent tout à la fois), définit comme
félicité-en-manifestation, manifestation ininterrompue et infuse en tout et en
tous. Comme le dit l'auteur :
Dès lors, en toute représentation des choses,
Il n'y a aucun état qui ne soit bon (śiva).
Autrement dit, il n'y a jamais
aucune remémoration possible ni aucune inconscience pour notre vraie nature -
délectation émerveillée (camatkāra)
et ininterrompue. Quand au fait que ce réel est désigné par le pronom "cela"
dans notre doctrine, cela est élucidé par l'auteur des Stances pour la reconnaissance du Seigneur quand il dit :
Nous disons que le Soi est
liberté souveraine...
Selon cette logique, c'est notre
vraie nature en son acception conventionnelle, conceptualisée, qui est ainsi
désignée, et non pas (notre vraie nature) en sa réalité ultime."
Méditation sur le (réel comme) pulsation (Spandakârikâvimarshinî), 1, 13, par Kshemarâja
Pour les adeptes du yoga de Patanjala il y a deux stades de concentration de la conscience, l´un est celui de yoga bhumi, et l´autre de kama bhumi. Le premier est ce de le vide, le samadhi, et le seconde est ce de la personne, ego,action, desir,agir. Et selon la bagavad gita il doit etre detruit pour eviter la reencarnation. Mais je crois que c´est mieux et plus belle la conception de l´abosolut comme femme, shakti, vibration qui est desireux et heureux de se aimer, de se conaitre, de agir en una continuation eternelle de manifestation ininterropue. Cela me rapelle une phrase si beau de Heraclite: "Dieu est jour et nuit, hiver et eté, guerre et paix, abondance et famine, il se trasnforme comme le feu melé d´aromats: chacun le nomme a son gre"
RépondreSupprimerEt je pense que cette vision femmenine de la realite, cete tantrisme est dejá mort dans l´inde, como c´est la religion des pharaons. J´ai connus plusieurs hindous a l´angleterre, óu il y a de nombreuses temples de toutes les denominations, ISKON, BAPS, Arya Samaj, Sanatana Dharma, et partout et toujours la femme est vu comme la Sita du Ramayana du Tulsi Das, enchainné a son epoux pour etre adulte, como les shudra dans la religion vedique.
Qu´est que vous croyez, le veritable mainstream dans l´inde c´est le tantra, como a dit David Gordon White, o c´est la bhakti des Shankarachayas.
@Carlos
RépondreSupprimerTout à fait d'accord !
Le dharma "éternel" du Mahâbhârata, de Manu, des Rishis, etc., est un dharma patriarcal basé sur une dualité pur-impur, homme-femme, esprit-matière, etc.
La femme est encore vénérée en Inde. Mais cela n'empêche nullement qu'elle est aussi opprimée ! Plus même : il est facile de voir que la vénération de la femme-déesse est un moyen de garder sous contrôle la femme-épouse-fille. Paradoxalement, le tantrisme reste le courant principal de la religiosité indienne - mais il est partout rejeté. Un cas extrême de psychose collective.
Oui, l'absolu est inspir-expir - vie.
Tout cela me fait beaucoup penser à Advayavajra dans le commentaire des Distiques de Saraha. Le sens qu'il donne à sukha ou sukhā (bde ba) ou à māhasukha (bde ba chen po) est plus proche de liberté que de "félicité", que l'on associe souvent à la félicité des âmes désincarnés dans des mondes de pur esprit, voire à un orgasme à la puissance mille etc. Et cette liberté se manifeste (s'incarne) en effet dans du conventionnel et du conceptualisé.
RépondreSupprimer@Hridaya
RépondreSupprimerOui. Mais je crois que, dès qu'il s'agit peu ou prou de méditation, ce sont les shivaïtes qui empruntent aux bouddhistes. Comme je l'ai déjà dit, tout ou presque, en matière de méditation, vient du bouddhisme. L'autre source, ce sont les milieux du yoga, mais eux aussi sont presque toujours inspirés par le bouddhisme. Je crois que l’influence du bouddhisme est très largement sous-estimée par les indianistes.
J'affirme que le "shivaïsme non dualiste du Cachemire" est une relecture du shivaïsme inspirée par le bouddhisme. En gras, la Pratyabhijnâ, c'est le yogâcâra avec une conscience absolument libre. Et ne n'est pas un hasard si le dzogchen et les spiritualités maitréyennes (ex: Kâlacakra) se développent au même moment.
Au sujet du yoga et des pouvoirs surnaturels (siddhi), un recueil intéressant vient de paraître :
http://www.amazon.fr/Yoga-Powers-Extraordinary-Capacities-Concentration/dp/9004212140/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1361350388&sr=8-1
(le prix est, comme d'habitude, exorbitant, mais on peut se le procurer à moindres frais...)