La conscience n'est-elle qu'un Témoin passif ou une source créatrice ?
Le corps et les émotions ne sont-ils que des projections qui recouvrent la conscience, ou des manifestations de la conscience ?
Le monde est-il une illusion inexplicable, ou le libre jeu de la conscience ?
Nous examinerons ces questions en lisant des textes où Abhinavagupta, le principal philosophe de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), critique le non-dualisme du Védânta.
Les lundis 18 et 25 février ainsi que le 25 avril 2013, au CPEC, 37 bis rue du Sentier, 75002 Paris, 18h30-20h30.
Harabhatta Shâstrî, éditeur des textes sanskrits que nous allons lire
La dernière fois, nous avions lus des textes qui critiquent la "méditation du non-être" (abhâva-bhâvanâ) prônée par certains courants shivaïtes, théistes et bouddhistes. Kshemarâja dénonce dans le passage traduit ci-dessous la confusion entre le vide et la conscience. Le vide est un objet pour la conscience, une chose inerte. En raison de sa subtilité, il est d'autant plus difficile de le distinguer de la conscience. L'impasse d'un vide inerte est aussi l'un des thèmes récurrents de la tradition bouddhiste tibétaine du dzogchen nyingthig.
"Le connaisseur du Vedānta, le disciple d'Akṣapāda (partisan du Nyâya), le Mādhyamika
et d'autres ont enseigné que, lorsque l'agitation s'est dissoute, il ne reste
que le réel, lequel est annihilation de toutes choses, non-être (abhāva) pur et
simple. Afin de les réveiller, l'auteur décrit, à l'opposé de la thèse (de ces
endormis), le fait que le réel comme vibration - matière même du (présent)
traité - transcende le monde (et ses conventions, dont sa conception de
l'être).
L'on ne peut méditer le non-être.
De plus, on ne peut dire que dans cet (état de non-être) il y a absence
de conscience,
Car (au sortir de cet état) l'on est certain qu'"il y avait (ce
non-être)",
A cause de la sensation intime d'une continuité (durant cet état de
non-être). 12
Par conséquent cet (état) que l'on peut (certes) connaître est (en
réalité) factice.
Il est toujours comme l'état de sommeil profond.
Ce réel (comme vibration), au contraire,
N'est pas connu de cette manière-là, c'est-à-dire comme objet de
souvenir. 13
Le non-être, tel qu'il est
compris par exemple dans cette croyance erronée de ceux qui (ne) connaissent
(que) les Upaniṣads
et autres ("savants" du même genre) : "A l'origine, il n'y avait
que non-être", ne peut être objet de méditation. (Pourquoi ?) Parce que
(la méditation) a (nécessairement) pour objet un objet qui peut être. Parce que
le non-être n'est rien. Ou alors, si (vraiment) il en vient à être médité
actuellement, son caractère de non-être ne sera plus, attendu qu'il sera alors quelque chose.
En outre, comment pourrait-on
méditer cette annihilation de toute chose en laquelle le méditant lui-même
devient non-être ? Si, au contraire, on admet un sujet méditant, il n'y aura
pas annihilation de toute chose, puisque le sujet méditant lui-même ne peut devenir
objet actuel (de cette méditation). Le réel (tattva) ne consiste donc pas en un
non-être universel.
(Cependant), cette thèse s'énonce ainsi (selon
le partisan du Madhyamaka) : Ce sujet méditant (qui croit méditer le non-être)
est une construction imaginaire ! Il médite d'abord en imaginant (un non-être
universel), puis, quand cette méditation atteint sa perfection, il réalise
le non-être parce qu'il est devenu
identique à l'objet médité.
A cela, (l'auteur) répond que,
s'il y a méditation du non-être, alors il n'y a pas absence de conscience ;
mais la torpeur n'y fait pas non-plus défaut. Il y a donc bel et bien confusion
! Tant que l'on médite un non-être qui consiste en une annihilation
universelle, on n'atteindra jamais la vérité ultime, comme l'affirme cette
maxime (bouddhiste) :
Par conséquent, absolument tout ce qui est médité,
Que cela soit être ou bien non-être,
Apparaît manifestement comme un fruit construit par l'intellect
Une fois que la méditation a atteint sa perfection.
Si l'on dit que le vide est ainsi
que l'a définit Nāgārjuna :
(L'état de Bouddha) est vide de toutes les catégories
Comme de tous les points de références,
De tous les phénomènes et de toutes les afflictions.
Mais, du point de vue de la vérité ultime, il n'est pas vide.
Alors nous répondons que cela est
vrai, si l'on admet la suprême souveraine, (pareille à la) Terre qui est
(comme) le fond (de toute chose), qui est la vérité ultime, qui est libre et
qui est conscience et félicité de part en part, telle que la décrivent le Vijñāna Bhairava et autres
(tantras) quand ils disent qu'elle est
Au-delà des mesures spatio-temporelles.
(Mais) cette méditation du vide
est énoncée après avoir décrit le royaume de la conscience comme vérité ultime,
présente comme fond (de tous les phénomènes). Autrement, la proposition
"il n'est pas vide" serait... vide, comme l'a démontré le vers qui
commence par "tout ce qui est médité...".
En revanche, qu'en est-il de ce
qui est dit dans ce vers tiré de la Guirlande
de lumière ?
Pour les gens comme nous,
Ce qui est appelé vacuité est inconnaissable et indéfinissable.
Mais elle n'est pas pour autant nihilisme,
Car elle ne vient pas de ce monde.[1]
Eh bien, cela est vrai. Mais si,
pour vous, elle est inconnaissable, alors cela revient à dire que l'on ne peut
rien en dire, puisqu'elle est inconnaissable. C'est alors cela qu'il faudrait
dire... Mais alors pourquoi l'appeler "vacuité " ? Et encore, même
cette vacuité, dans la mesure où elle est méditée, est esquissée par
imagination. Elle est, dès lors, connaissable ! De plus, si elle est pour vous
inconnaissable, alors vous devriez vous mettre au service d'un vrai maître qui
a reconnu directement cet état. Qu'il suffise de dire que, dès lors, il appert
que vous ne devriez pas (ainsi) jeter vous-mêmes et autrui dans l'abîme de la
plus profonde confusion en forgeant des conventions selon votre fantaisie !"
Stances sur la vibration avec la Méditation de Kshemarâja, 1, 12-13
Stances sur la vibration avec la Méditation de Kshemarâja, 1, 12-13
[1] Alokamālā, 142. Au vers suivant, Kambala
ajoute : "La définition de la (vacuité) sous la forme d'un "il n'y a
pas" n'est que vérité de convention. Pour qui pourrait-il y avoir "il
y a" ou "il n'y a pas", attendu que tous les phénomènes sont
vides de nature propre ?"
Par rapport à un réel quel qu'il soit, qu'on l'appelle vacuité, Soi, non-être, l'indéterminé, la conscience, Dieu, Nature, le Bouddha avait dit cela n'est pas mien, je ne suis pas cela, cela n'est pas mon soi (netaṁ mama, nesoham-asmi, na meso attā” ti). Ce n'est pas pour dire (ou refuter) quelque chose d'un réel ou pour l'atteindre, mais pour ne pas recouvrir ce réel par ce qu'il n'est pas et qui ne l'atteint pas, et qui en fait, en éloigne : l'identification, l'appropriation.
RépondreSupprimerSi le partisan du Madhyamaka pense avoir identifié la vacuité et le non-être et l'atteindre par la méditation, il faudrait qu'il se rappelle de la formule ci-dessus.
Ceux qui l'isolent et l'identifient et qui ont une réponse toute prête, ont généralement tout un programme à nous proposer par la suite. Cela ne rate jamais ! "Alors vous devriez..."
Vacuité de sensations, vacuité de perception et vacuité d'objets mentaux n'est pas vacuité mais plénitude de l'être, conscience, félicité.
RépondreSupprimerCela ne demande pas de temps car le temps n'est pas une réalité substantielle, c'est une création des sensations, des perceptions et des objets mentaux qui passent.
La Réalité sous-jacente aux phénomènes est l'éternité de l'Etre.
Mais la Réalité n'est pas seulement sous-jacente aux phénomènes, elle est leur réalité actuelle, passée et future dévoilée.
La Réalité n'efface pas les phénomènes, elle les dévoile dans leur vérité : tout est l'absolu.
Vacuité de sensations, vacuité de perception et vacuité d'objets mentaux n'est pas vacuité mais plénitude de l'être, conscience, félicité.
RépondreSupprimerCela ne demande pas de temps car le temps n'est pas une réalité substantielle, c'est une création des sensations, des perceptions et des objets mentaux qui passent.
La Réalité sous-jacente aux phénomènes est l'éternité de l'Etre.
Mais la Réalité n'est pas seulement sous-jacente aux phénomènes, elle est leur réalité actuelle, passée et future dévoilée.
La Réalité n'efface pas les phénomènes, elle les dévoile dans leur vérité : tout est l'absolu.