La tradition bouddhiste de la
grande Complétude (dzogchen) s'exprime en une poésie qui célèbre le naturel, le
laisser-aller et la conscience au présent, à l'encontre de toute technique,
manipulation ou projet.
Cependant, cette même tradition a
connu depuis le XIIe siècle une inflexion nouvelle : les pratiques visionnaires
qui consistent à "brûler les étapes" (thögäl). Une fois stabilisé
dans la conscience au présent, l'adepte prend une posture et contemple le ciel
bleu, par exemple. Des visions sont alors alors censées se développer
d'elles-mêmes, jusqu'à des mandalas complets. Au terme de ce processus, le
corps de l'adepte lui-même s'intègre à ces paysages de lumière vertigineux. A sa mort, il ne
laisse que ses cheveux et ses ongles.
Adeptes de thogal et exemples de visions
Cette tradition née à l'intérieur de
la Grande complétude a connu un si grand succès qu'elle est tenue aujourd'hui
par ses adeptes pour la pratique ultime, la plus directe, la plus puissante, la
plus secrète aussi. Même si de nombreux livres ont été publiés sur la Grande
Complétude, les textes concernant la pratique visionnaire sont plus rares, bien
qu'on en compte une bonne douzaine. Ce qui frappe en les lisant, c'est leur
précision technique, à l'opposé du lyrisme exubérant et simple à la fois, des textes que je cite par
exemple dans ce blogue.
Évidemment, cette
"technologie" ne peut que susciter la curiosité et la controverse,
d'autant plus qu'elle est censée déboucher sur des phénomènes surnaturels comme
la quasi disparition du corps. En outre, ses textes sont singulièrement détaillés.
Bien que la croyance en un corps de lumière et les pratiques visionnaires soient
avérés dans d'autres traditions (principalement le shivaïsme tantrique), la
Grande Complétude a produit une littérature abondante, exhaustive et explicite
sur le sujet.
Pour ma part, j'ai déjà donné mon
opinion sur le sujet. Si j'y reviens, c'est parce que j'ai découvert que les
phénomènes qui sont à la base de ce yoga visionnaire sont connus de la science
: ce sont les "phénomènes entoptiques", c'est-à-dire ceux que l'on voit
à l'extérieur de soi mais qui ont leur origine dans la structure même de l’œil,
sans que ces phénomènes soient la manifestation d'une maladie particulière. De
fait, n'importe qui peut voir ces phénomènes, voir à l'intérieur de son œil par l’œil lui-même.
Il suffit de réunir des conditions qui sont très proches de celles décrites
dans les textes de la Grande Complétude. Il y a au moins trois catégories de
ces phénomènes :
- les figures irisées que l'on
voit quand on plisse les yeux en dirigeant le regard près d'une source lumineuse
telle que le soleil. Leur base objective est la présence de "corps
flottants" (débris de cellules) dans l'œil. Dans la tradition dzogchen, on
peut s'aider d'un support tel qu'un chapeau avec des crins de yak ou de cheval,
du brocard de soie, ou encore un cristal pour les rendre plus évidents.
- les nappes de lumières et les
figures géométriques que l'on voit dans le noir, ou en pressant légèrement les
yeux. Ils surgissent souvent de la périphérie du champ visuel et se déploient
en cercles. Le dzogchen met l'accent sur ces sortes de "chaos
visuels". L'obscurité est le support idéal, mais l'on peut aussi employer
les contrastes, comme le rebord d'une fenêtre ou le sommet d'une montagne.
L'idée est de stimuler ces formes de lumière, jusqu'à ce qu'elles vivent de
leur vie propre même en l'absence d'obscurité ou de contraste. Ces taches et ces figures
géométriques deviennent alors peu à peu des corps, des palais et autres
éléments des mandalas, jusqu'à la dissolution du corps en lumière. Ce sont peut
être les phénomènes les plus intéressants, car ils n'ont pas d'autre support,
en dehors des yeux, que le système nerveux. Un exemple reconstitué :
-Enfin, il y a ces phénomènes que
l'on voit quand, par exemple, on fixe un ciel bleu ou un champ de neige. Apparait d'abord comme un vortex au milieu du champ visuel, entouré de petites étoiles
qui se déplacent vers le centre, en zigzaguant. Le dzogchen les compare à des
gouttes de mercure répandues sur le sol. Leur support, ce sont les vaisseaux
capillaires du fond de l'œil et les globules blancs, ou leucocytes. Les
documents ci-dessous rapportent que des scientifiques ce sont penchés sur la
chose depuis le début du XIXe siècle. Ils ont même fabriqués des dispositifs pour
mieux voir ces phénomènes entoptiques, des "entoptoscopes" donc, notamment
avec des filtres au cobalt bleu.
Ces recherches montrent que les
bases de ces expériences visionnaires restent
toujours physiques et explicables par l'anatomie. Par conséquent, les
gens qui affirment que ces lumières sont des anges ou des "globules de
vitalité", ou encore des graines de Bouddhas, se trompent. Le point de vue du
dzogchen est passionnant, mais il est seulement subjectif, tout en ayant des
prétentions objectives. Le point de vue de la première personne est unique,
c'est vrai. Et la science ne parvient pas - ne parviendra peut-être jamais - à
expliquer la conscience. Mais quand ce discours subjectif qui décrit une expérience à la première personne en
vient à vouloir décrire ce qui existe objectivement, on tombe dans l'erreur.
Dans le domaine de l'objet et de l'objectif, en effet, la science demeure sans
rivale. De plus, la fascination pour ces phénomènes risque toujours de distraire
de l'essentiel : la reconnaissance de la présence, reconnaissance qui embrasse ce
à quoi nous aspirons vraiment, comme la compassion l'amour, l'équanimité et le
sentiment de bien-être, même si rien n'a de sens objectivement.
Malgré ces réserves, je crois que ces pratiques peuvent présenter un intérêt si, justement, elles restent des expériences sans prétentions pseudo-scientifiques, sans tomber dans un galimatias occultiste. Mais est-ce vraiment possible ?
P.S. : On pourrait mettre en parallèle les découvertes scientifiques avec les instructions dzogchen de manière bien plus détaillée. Par exemple, les sortes de colliers de perles visibles sur la fresque tibétaine (dans un palais construit à Lhasa par le 5e Dalaï Lama) en haut de ce billet. Elles sont nommées "chaînes indestructibles". Parmi les différents éléments qui apparaissent au début de la pratique, ce sont les plus important, car c'est en les fixant que les visions se développent. Objectivement, ce sont des corps flottants, des restes de cellules et autres débris. Selon le dzogchen, ces "chaînes" sont indestructibles en ce sens qu'elles sont toujours présentes indépendamment de l'âge ou de la condition physique de l'adepte. C'est l'un des points censés établir la supériorité de cette pratique visionnaire. Objectivement, ces débris sont souvent présents depuis la naissance et, protégés dans l'humeur vitreuse, ils perdurent souvent jusqu'à la mort, en effet. Autre exemple : selon le dzogchen, ces chaînes et leur sphérules ralentissent au fure et à mesure qu'on les fixe, jusqu'à devenir immobile. La première partie du documentaire ci-dessus explique que l'on focalise d'abord sur des corps situés plus à l'avant de l’œil, donc plus "mouvants", avant de focaliser naturellement de plus en plus à l'arrière de l’œil, vers la rétine, où les corps flottants sont de moins en moins mobiles. Etc., etc.
P.P.S. : un tableau synthétise (en anglais) les différentes sortes de phénomènes. Son intérêt est de présenter, à chaque fois, une description objective ("physiology") et une description subjective ("seer").
Malgré ces réserves, je crois que ces pratiques peuvent présenter un intérêt si, justement, elles restent des expériences sans prétentions pseudo-scientifiques, sans tomber dans un galimatias occultiste. Mais est-ce vraiment possible ?
P.S. : On pourrait mettre en parallèle les découvertes scientifiques avec les instructions dzogchen de manière bien plus détaillée. Par exemple, les sortes de colliers de perles visibles sur la fresque tibétaine (dans un palais construit à Lhasa par le 5e Dalaï Lama) en haut de ce billet. Elles sont nommées "chaînes indestructibles". Parmi les différents éléments qui apparaissent au début de la pratique, ce sont les plus important, car c'est en les fixant que les visions se développent. Objectivement, ce sont des corps flottants, des restes de cellules et autres débris. Selon le dzogchen, ces "chaînes" sont indestructibles en ce sens qu'elles sont toujours présentes indépendamment de l'âge ou de la condition physique de l'adepte. C'est l'un des points censés établir la supériorité de cette pratique visionnaire. Objectivement, ces débris sont souvent présents depuis la naissance et, protégés dans l'humeur vitreuse, ils perdurent souvent jusqu'à la mort, en effet. Autre exemple : selon le dzogchen, ces chaînes et leur sphérules ralentissent au fure et à mesure qu'on les fixe, jusqu'à devenir immobile. La première partie du documentaire ci-dessus explique que l'on focalise d'abord sur des corps situés plus à l'avant de l’œil, donc plus "mouvants", avant de focaliser naturellement de plus en plus à l'arrière de l’œil, vers la rétine, où les corps flottants sont de moins en moins mobiles. Etc., etc.
P.P.S. : un tableau synthétise (en anglais) les différentes sortes de phénomènes. Son intérêt est de présenter, à chaque fois, une description objective ("physiology") et une description subjective ("seer").
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