Dans l'approche contemplative que je partage,
il y a deux aspects : le silence intérieur,
incarné dans la méditation de Shiva ;
et la vibration du cœur,
incarné dans la méditation de Shakti.
Le capucin Simon de Bourg-en-Bresse,
maître de méditation du XVIIe siècle, dit une chose analogue
quand il distingue les différentes facultés de l'âme.
A part la sensitive et la rationnelle,
il parle en effet de l'intelligence comme étant,
soit supérieure, soit inférieure.
L'inférieure n'est autre que l'entendement "en tant qu'il connait
par une vue simple, sans discours, d'une manière angélique"
tel que résumé dans le Règne de Dieu dans l'oraison mentale,
par H.-M. Boudon, pp. 155-156.
Cette faculté correspond clairement
au silence intérieur. Elle est une "vue simple", sans images,
sans représentations.
Mais sa partie supérieure est la volonté.
Non pas la volonté au sens où nous l'entendons aujourd'hui,
mais la faculté d'aimer sans raisons, et sans avoir de représentation
de ce que l'on aime. Boudon résume encore :
"A cette faculté correspond la volonté en tant qu'elle est porté au bien
par cette simple vue."
Autrement dit, dans ce silence intérieur s'éveille l'amour du Bien.
Non seulement, il y a vision, mais encore vision amoureuse.
Le tout sans images, ni discours.
Il s'agit de ce que j'appelle la "vibration du coeur".
Or, si le silence est "naturel", en ce sens que j'en suis capable
par mes propres forces, en me concentrant,
la vibration du coeur, elle, est "surnaturelle"
en ce sens qu'elle s'éveille "par une lumière infuse et surnaturelle
que la volonté embrasse". En clair, ici, c'est le divin qui opère en moi,
pour peu que je me laisse faire. Mais la concentration ne suffit plus.
Je dois plutôt m'ouvrir à une présence qui m'accueille
et me transforme, qui est "infuse" et non pas "acquise" par mes efforts.
Ce dernier aspect est "supérieur" parce qu'il est action divine,
et non plus humaine. De plus, il a une infinité d'autres vertus
dont témoignent les mystiques. Selon Boudon toujours, c'est cet aspect de l'âme
qui est nommé "de divers noms", comme suprême Ciel,
pointe d'esprit, centre ou fond de l'âme.
Boudon insiste pour que nous ne confondions pas
la raison avec l'imagination.
Et que, de même, nous ne confondions
pas la raison avec cette "partie supérieure
de l'âme raisonnable".
La première est naturelle et humaine,
nous pouvons l'exercer.
La seconde est divine et nous ne pouvons y travailler
- seulement nous y ouvrir et la reconnaître.
Dans les deux cas, il y a pratique,
mais pratique différente, en ce sens que
je peux vivre le silence intérieur sans jamais
goûter la vibration du coeur, ou amour,
et que l'exercice de l'un ne garantit jamais
l'éveille à l'autre.
Il existe bien d'autres nuances mais,
comme j'en ai déjà beaucoup parlé,
je me contente ici de signaler
cette analogie entre la tradition contemplative
du shivaïsme du Cachemire telle que je l'ai reçue,
et la mystique catholique.