vendredi 22 février 2019

La liberté politique est-elle nécessaire à la liberté intérieure ?

Regnault, La liberté ou la mort, 1795, 60x49cm, huile sur toile, Kunsthalle,  Hambourg Source: http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/859396

Balajin Nâtha Pandit, un maître du shivaïsme du Cachemire peu connu, mort en 2007, affirme dans son Miroir de la liberté (Svâtantrya-darpana, 1958) qu'il y a deux sortes de libertés : la liberté absolue, synonyme de conscience ; et la liberté relative, synonyme d'indépendance individuelle et de souveraineté nationale. L'auteur sait de quoi il parle : son pays, le Cachemire, a été envahit et sa culture détruite. Après des siècles de persécution, les derniers survivants de sa communauté ont finalement été forcés de quitter le Cachemire pour s'exiler. Ceux qui sont restés ont été massacrés.

Dans ce texte, BN Pandit enseigne le shivaïsme du Cachemire en explorant un peu sa dimension politique, qui n'est pas explicitée dans les textes anciens, mais qui est pourtant une question légitime.

Il rappelle d'abord que, pour s'intéresser à la spiritualité, il faut un minimum de conditions :

Un (individu) privé d'indépendance
dans son existence quotidienne
ne peut trouver aucun intérêt à la liberté absolue.
Les gens de bien savent donc qu'il faut
atteindre la liberté dans l'existence mondaine
avant (de se tourner vers la liberté absolue.
(Svâtantrya-darpana, VIII, 20)

"Existence quotidienne" traduit vyavahâra, terme sanskrit difficile à traduire, mais qui correspond au "commerce" au sens large, c'est-à-dire à l'ensemble des échanges qui font l'existence de chaque jour : échanger, prendre et donner, accepter et refuser, etc. Cette existence est discursive, elle est inséparable du discours articulé, bien que celui-ci soit fondé sur un genre de parole plus subtile car intuitive.

L'auteur reconnaît que la conscience, étant liberté absolue, peut se reconnaître elle-même par elle-même, indépendamment de toute condition. C'est d'ailleurs cette indépendance qui est l'essence de la conscience, car une conscience qui serait dépendante d'une chose ne serait pas conscience du tout. Cette liberté est appelée "la grâce" en contexte religieux, précisément parce la grâce ne dépend de rien. Elle ne dépend de rien parce que seule la conscience peut s'éveiller elle-même, par elle-même.

Cependant, pour l'individu, les conditions comptent. La conscience, librement identifiée à un individu, joue au jeu de dépendre des lois de la nature qu'elle crée, comme un enfant fait semblant d'être un gendarme ou un voleur. L'Auteur précise ensuite que ces conditions sont complexes :

Cette (indépendance) est relative au corps,
au cœur, à intellect,
à un régime politique authentique, à l'argent.
Elle est individuelle, nationale,
familiale et sociale. 21

Néanmoins il y a une hiérarchie parmi ces conditions :

Mais Parmi ces aspects de la liberté,
le principal est la liberté de la nation (râshtra),
car elle est le fondement de toutes
les (autres formes de liberté).
En effet, quand une nation dépend d'une autre,
aucune sorte d'indépendance n'est possible. 22

Le débat actuel sur la question de la souveraineté nationale est donc pertinent du point de vue de ce maître du shivaïsme du Cachemire. Mais lui n'envisageait que la dépendance de nation à nation, tandis qu'aujourd'hui, on se préoccupe de la dépendance des nations ou des Etats à l'égard des puissances commerciales privées. Le maître de BN Pandit, Amrita Vâgbhava, avait développé ce thème dans un livre en sanskrit sur lequel j'écrirai plus tard.

L'Auteur conclut :

Par conséquent, les sages doivent
avant tout rendre leur nation indépendante.
Une fois obtenue, toutes les autres formes de liberté
sont d'autant plus aisées à obtenir. 23

Une fois atteinte l'indépendance nationale,
on doit atteindre les autres (formes d'indépendance)
par des voies nobles et véridiques,
puis l'on doit développer droitement
l'attachement pour cette liberté
qui est notre vraie nature. 24

On ne saurait dire plus directement le lien étroit entre libertés individuelles et liberté spirituelle.

Les conditions favorables réunies, l'éveil spirituel se produit :

C'est alors que Dieu (Shiva), toujours bon,
se dévoile un peu à l'être vivant.
Dès lors, celui-ci s'intéresse à l'enseignement,
désire entendre les maîtres
et en met en pratique (les préceptes). 25

N'est-ce pas justement ce que l'on observe aujourd'hui ? 
Je crois en effet que la démocratie libérale est le type de régime politique le plus favorable à l'éveil spirituel.

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1 commentaire:

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