samedi 16 février 2019

La fusion des trois espaces



L'espace est "la reine des métaphores". 
L'espace est, mais il ne peut être saisi.
Dans le shivaïsme du Cachemire et le dzogchen, le yoga de l'espace est au cœur de la pratique contemplative.

Voici cette pratique présentée par Adeu Rinpoché, un yogi tibétain qui l'a apprise pendant un séjour de 24 ans dans une prison communiste, dans des conditions épouvantables. Elle contient aussi, au passage, une version plus complète d'une anecdote assez connue d'éveil :

"Pour progresser pendant que j'étais dans le camp de concentration, j'ai reçu un enseignement appelé Le triple ciel par un yogi accompli, Lama Rigzin. C'est une pratique à faire de temps en temps pour surmonter les obstacles dans la pratique de trekchöd [=la pratique de la méditation dzogchen, semblable à la méditation de Shiva]. Par exemple quand on se sent bloqué par la torpeur ou la somnolence on la fait pour lever le voile, en quelque sorte. 
Lama Rigzin l'expliquait ainsi : 'Quand on fusionne les trois cieux, le ciel extérieur est l'espace au dehors, le ciel intérieur est l'arrêt de la pensée, l'essence vide, et le ciel secret est la transparence de la conscience éveillée, la Présence. Fusionner signifie juste laisser ces trois cieux être identiques et d'une même saveur. La fusion a lieu en la conscience éveillée. Quand on reconnaît la conscience éveillée, ces trois "cieux" fusionnent spontanément, car ils sont déjà un en l'espace de la conscience éveillée. Mais laisser ces trois cieux être d'une même saveur, une seule expérience, est néanmoins la pratique de la fusion du triple ciel.

Quand nous étions en prison, Khenpo Münsel [=un autre maître dzogchen très important] m'a raconté une anecdote interressante sur son maître Nyoshül Lungtok, qui avait demandé à son maître Patrûl Rinpotché comme fusionner le triple ciel. C'était tôt le matin et le soleil s'téait déjà levé. Patrûl se leva et lui demande de sortir avec lui. Patrül s'assit dans une clairière et invita Nyoshül a faire de même. Patül lui demanda de s'allonger sur le dos. Patrül fit de même et l'instruisit de simplement étendre les bras et les jambes, comme un aigle. Patrül demanda : "Tu vois, il n'y a aucun nuage dans le ciel. Il est complètement dégagé". Ce que vit Nyoshül. Un peu après, Patrül dit "Tu entends les chiens qui aboient au monastère ?" - Oui aquiesca Nyoshül "Tu entend le son de la cascade au loin ?" - Oui "Bien, laisse être tout cela, sans aucune séparation, en une seule expérience. Voilà, laisse tout simplement être."
(Freedom in Bondage, pp. 74-76)


A ce moment, Nyoshül Lungtok s'éveilla. Ou plutôt, la conscience se reconnut elle-même, au-delà de tout objet. Immensité transparente qui, jusque-là, s'était ignorée elle-même, obnubilée qu'elle était par les choses.

L'espace, sans repères, invite à la perte des repères. La conscience sans repères est la conscience éveillée. La méditation consiste à rester en cet état.

Le regard est grand ouvert, la bouche béate. Comme si on avalait l'espace. Dudjom Lingpa, un autre maître dzogchen du début du XXe siècle, dit qu'il suffit de rester ainsi pour que la conscience s'éveille. Et le Vijnâna Bhairava Tantra dit la même chose.

C'est la fusion des trois espaces, pratique centrale du dzogchen et du shivaïsme du Cachemire.

2 commentaires:

  1. Je lis votre blog tous les jours tant il me parle. J'aurais pas mal de questions à poser, plutôt par Mail. Là , je pointe "comme si on valait l'espace", j'aime: vous avez sans doute voulu écrire avalait, mais il y a aussi qu'on le vaut cet espace et qu'on le "vole" plus qu'on y vole! Merci. Venez-vous parfois en Bretagne?

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