"Le mental est votre ennemi". Ce slogan a envahi les esprits en quête d'éveil, de sorte qu'il ne viendrait à l'esprit de personne de faire l'éloge de la raison ou de l'intellect, ou encore de la logique, comme moyens d'éveil. Ainsi, tout est confondu sous l'étiquette "mental".
Mais nous ne sommes pas amnésiques. Nous sommes héritiers de traditions sans prix. La science infuse ne suffit pas. Sans la tradition, l'expérience solitaire est condamnée à l'errance ou a l'impasse. Or, les traditions sont unanimes : la raison est le complément indispensable de la vie intérieure. Je pense ici aux traditions qui affirment la vie, qui intègrent la nature, qui s'ajustent à un ordre des choses qu'elles contribuent à protéger et qui, en retour, concoure à cette transmission. Nous devons donc reconsidérer notre évaluation de la raison.
Toutes les traditions accordent une place centrale à la parole et affirment que la raison est essentielle. Sans elle, on courre à sa perte. J'ai déjà traduit et partagé de nombreux extraits de la tradition du Tantra et du "shivaïsme du Cachemire" dans ce sens. Je sais bien que cette idée va contre le courant dominant actuellement. Mais ma loyauté va à la tradition, car je la trouve bien plus cohérente, complète et efficace.
Voici un autre exemple, tiré de la tradition du Cachemire et relativement récente, puisqu'il s'agit de la Lampe de la liberté, composée en sanskrit au XIXème siècle par Mânasa Râma, le maître de l'un des maîtres du Svâmî Lakshmana Joo. Cet extrait est un sûtra, un aphorisme, une brève déclaration sur un point essentiel de l'enseignement :
vitarkaḥ paramauṣadham ||
"La raison est le remède ultime".
Je crois que cela se passe de commentaire.
Abhinavagupta affirmait déjà :
tarkam yogāṅgamuttamam /
"La raison est la partie suprême du yoga" ou "la raison est ce qui aide le plus à atteindre l'état d'union."
Le propos est sans ambiguïté.
Est-ce à dire qu'il faut ratiociner sans fin et en vain ?
Non : la tradition distingue deux usages de la raison (tarka). Le premier, mauvais, ku-tarka, consiste à raisonner dans le vide, sans ancrage dans l'être, sans lien avec la tradition. Le second, bon, sat-tarka, consiste à raisonner intensément sur la base de ce que le tantra révèle. Attention, il n'est pas question de restreindre la raison ou de dogmatiser, mais de révéler. Cela veut dire que la tradition ne pense pas à votre place, mais qu'elle vous révèle, qu'elle vous suggère des vérités que jamais la raison seule n'aurait pu deviner. Des vérités trop évidentes, trop opposées au sens commun, trop belles pour être fraies.
La raison forme, avec l'expérience et la tradition, la grande triade des moyens de connaissance qui nous guident sur la voie.
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai parfois le sentiment que la tradition révèle du seul fait qu'elle instille des vérités qui seraient comme le résultat de rencontres entre la raison et l'intuition, fruits de cette jonction, du point d'intersection entre raison et coeur.
Pour ce qui est de ce mental malmené et malmenant, après m'être un peu interrogé sur cela, j'ai fini par un peu comprendre aussi qu'en fait c'est aussi peut-être une question de yoga. Un yoga entièrement dirigé vers la dévotion pure n'est pas un yoga de la connaissance où l'intellect a toute sa place. Mais je ne suis en rien spécialiste, j'essaie juste de comprendre.
Mais justement, cette idée qu'il y a une yoga de la connaissance séparé d'un yoga de la dévotion est une hérésie moderne. Dans toutes les traditions de l'Inde, ces yogas forment un seul yoga. La connaissance et l'amour se complètent, de même que la logique et la poésie, etc.
SupprimerOh oui mais bien sûr, je ne voulais pas parler de séparation, mais de distinction. Et de distinction au regard des différentes pratiques induites selon les aptitudes des personnes.
Supprimerbonjour david :)
RépondreSupprimeravec la vision sans tête, peut t'on y revenir aussi souvent que nous le souhaitons ?
merci !