L'éveil est-il une expérience nouvelle ? ou l'expérience d'un nouveau contenu d'expérience ? ou une nouvelle expérience de l'expérience ?
La question se pose, car plusieurs tradition qui sont à l'origine de la notion d'éveil, affirment que l'éveil n'est pas une expérience nouvelle.
Je pense à l'Advaita Vedânta. L'éveil n'est même pas une expérience, mais la compréhension de l'expérience. Comment ? Par la compréhension de la phrase "Tu es cela", c'est-à-dire, toi, tu es l'absolu, et il n'y a rien d'autre. Absolument rien. Les expériences sont des illusions, donc il n'y a rien à chercher de ce côté. Pas d'expérience mystique, ni de méditation, par exemple.
La phrase sacrée "Tu es cela" est un jugement, car elle fait un lien entre deux éléments "tu" et "cela" qui n'ont a priori aucun lien. Mais ce lien n'apporte en réalité rien de nouveau, aucune expérience nouvelle. Il s'agit juste d'une nouvelle interprétation de l'expérience commune, normale, ordinaire : perception, imagination, oubli... veille, rêve, sommeil... En termes kantiens, je dirais que "Tu es cela" est un jugement analytique : rien n'est véritablement ajouté à l'expérience par ce jugement.
Mais alors, s'il n'y a pas d'expérience nouvelle, à quoi bon l'éveil ?
Dans le Tantra non-dualiste, la même phrase sacrée est employée. Par exemple, dans l'Hymne à Dakshinâmûrti, que j'ai traduit et publié sous le titre "Les Jubilations de l'esprit" (traduction du titre du commentaire Mânasollâsa).
Là, le "Tu es cela" est un jugement, mais un jugement synthétique : c'est-à-dire qu'il relie un élément connu à un autre, nouveau. En effet, contrairement à l'Advaita Vedânta, le Tantra ne dit pas seulement que la conscience "ordinaire" est l'absolu, mais pointe plus précisément ce qu'elle est, pour en faire faire l'expérience précise. Et surtout, ce jugement, assumé de tout notre être, avec une entière certitude et une complète assurance, a le pouvoir de changer notre expérience. En ce sens, l'éveil est une expérience nouvelle.
Pourtant, l'absolu est toujours l'absolument. Avant, pendant, après. Par définition. Sinon il ne serait pas l'absolu. Mais l'expérience change. Imaginons que je pleure parce que j'ai perdu mes lunettes. Puis soudain, quelqu'un me dis que "tu as tes lunettes sur le nez !" Donc, en un sens, je faisais déjà l'expérience des lunettes. Et pourtant, en un autre sens, réaliser que je n'avais jamais perdu mes lunettes a le pouvoir de changer mon expérience, puisque j'arrête de pleurer, mon corps se calme et je me sens rempli de joie. C'est bien une nouvelle expérience.
Ensuite, il est nécessaire de se familiariser avec cette réalisation, afin de stabiliser cette expérience nouvelle. Sans doute pas dans le cas des lunettes, mais bien dans celui de mon essence absolue, ma véritable nature de conscience infinie, que j'ai oubliée depuis des temps sans commencement. Les habitudes formées depuis un temps infini peuvent mettre un temps infini à disparaître, même si l'éveil est instantané et parfait, "comme des éons de ténèbres s'évanouissent en un instant de lumière".
Donc, l'éveil est est une expérience nouvelle.
www.david-dubois.com
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