Le tantra est célèbre; les tantras sont méconnus. Ce paradoxe est caractéristique d'une époque marquée par la peur du savoir. Les consommateurs ont envie de sensations, pas de religion ni de philosophie. Les tantras sont pourtant des textes passionnants. Mais pour pouvoir les lire, même en sanskrit, il faut qu'ils aient été édités. Or pour cela, il faut pouvoir accéder aux manuscrits. Il y a de fort belles collections en Europe et au Népal, mais le principal est en Inde ou gisent des
millions de manuscrits. Oui, vous avez bien lu : des millions. On pourrait donc croire que les Indiens, généralement pétris de patriotisme, mettent les bouchées doubles pour sauver ce patrimoine universel et malheureusement très biodégradable. En réalité, il semble bien qu'on en soit très éloigné... La plupart des bibliothèques de l'Inde sont en effet frappées d'une sorte de torpeur bureaucratique particulièrement aiguë, qui n'est pas sans rappeler le style du
1984 d'Orwell.
En voici un échantillon, rapporté par un chercheur Cachemirien, Mrinal Kaul. Il projette d'éditer le
Tantrâloka, chef-d'oeuvre d'Abhinavagupta, le principal maître du shivaïsme du Cachemire. Il va donc à Lucknow où se trouve une collection de plusieurs milliers de volumes donnés par un autre Cachemirien qui a fuit le terrorisme islamique. Après la paperasse, ce jeune chercheur sélectionne vingt manuscrits, d'une page pour la plupart (les fameux hymnes d'Abhinavagupta). Voici ce que lui répond le bibliothécaire :
As soon as Dr Ashok Kaliya had a look at the list he said. “Why do you want the copies of so many manuscripts? Do you want to open up a shop of Manuscripts? [vous voulez ouvrir une boutique de manuscrits ou quoi ?"] I mean you should ask for the Mss [manuscrit] of a single text, but you are asking for so many of them. You work on a single text at a time and not on so many different texts.” When I said that I am working on three projects simultaneously the great scholar replied back saying, “But you cannot do that. You are asking for the Mss as if you want to open up a shop of Mss. See some time back a scholar came with a list of sixty manuscripts, and I had to allow because he was a very influential man. But I cannot allow twenty one Mss for you.” In fact they did not allow me even to see the Mss. “They are in a different hall and it is not possible to see them” said the clerk. Never mind. I still curse that Kashmiri pandit man Vidyeshwarnath Razdan (Kaccha Chabutara, Chowpatiya Road, Cowk, Lucknow) who donated his complete collection of the Sarada Mss in about two-three thousand volumes to the Akhil Bharatiya Sanskrit Parishad. This man must have taken al the trouble to carry these Mss all the way from Kashmir to Lucknow, but now a Kashmiri like myself cannot even have a look at them. This is how the donor of the collection is being honoured.
Voilà. Personnellement, je trouve cela dramatique. Non seulement la communauté des pandits du Cachemire est exterminée par les islamistes dans l'indifférence générale, non seulement leur spiritualité est dévoyée pour servir de fond de commerce à des bobos sans scrupules, mais en plus les reliques de leur culture leurs sont inaccessibles dans leur propre pays...
J'ai rencontré Mrinal Kaul. C'est un héros. Puisse son entreprise rencontrer le soutien et le succès qu'elle mérite. Je ne pense pas exagérer en disant qu'il y va de l'avenir de l'humanité.
Par ailleurs,
voici un autre site, un parmi tant d'autres je l'espère, consacré au partage de quelques fragments de tantras et autres textes de l'immense corpus sanskrit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pas de commentaires anonymes, merci.