Dans la suite de ce second chapitre, l'auteur (anonyme) expose la théorie selon laquelle, de même que tous les effets préexistent dans leur cause, de même toutes les théories sont embrassées dans la théorie intégrale de la Reconnaissance (pratyabhijñā).
Quand la fleur est devenue fruit,
Quand le lait est devenu yaourt,
Les qualités comme la couleur ou la saveur
appartiennent à différents genres. 11[1]
La cause et l’effet,
Le tout et les parties,
Le genre et l’individu,
La qualité et la substance,
L’action et l’agent :
Toutes ces (catégories) ne sont que
des constructions de l’Apparaître. 12[2]
On ne peut admettre que les atomes
Ou la nature soient doués de conscience.
(En effet), quand le monde s’agence,
on observe que la connaissance et l’action reposent
(Bien plutôt) le lait se transforme en yaourt
grâce à la Puissance d’action en forme de Temps.
Le monde advient grâce à la Puissance de connaissance en forme
De connaisseur, de connaissance et de connu. 14[5]
[1] Nous avons là une objection contre la théorie Nyāya de la causation. En effet, selon le Nyāya, les qualités sensibles, comme la forme et la saveur, sont déjà présentes dans les atomes qui constituent les choses. Mais alors, comment expliquer que des effets puissent présenter des qualités si différentes de leur causes ? Par exemple, on observe qu’une fleur ou une graine blanche peuvent donner un fruit rouge. Autrement dit, cette objection consiste à soulever le problème de l’émergence : un tout a des qualités qui ne se réduisent pas à la somme des qualités des parties qui le constituent. Ce problème se pose encore dans le contexte de la science contemporaine : comment des atomes qui ne sont pas « rouges » peuvent-ils, en s’assemblant, susciter la propriété « rouge » ? De même, d’où vient la fluidité de l’eau, alors que les molécules d’eau, prises une à une, n’ont pas de propriétés « liquides » ? Enfin, comment expliquer que des atomes privés de conscience puissent être la cause de la conscience ?
[2] Selon la Pratyabhijñā, le Soi-Seigneur est une pure Lumière, un Apparaître indifférencié qui se ressaisit à travers ces catégories. Ainsi, il y a plusieurs apparences qui s’opposent : celle de « mon » corps, celle du vase, etc. De même, j’oppose mon apparence passée à celle du présent, où l’apparence d’inconscience quand je dormais cette nuit à l’apparence de conscience présente. Mais en réalité, tout ceci n’est qu’un seul Apparaître dans lequel je forge librement des distinctions, des oppositions, des synthèses, etc. Rappelons que cet Apparaître (prakāśaḥ) est Śiva, alors que les innombrables manières dont il se ressaisit sont la déesse (śaktiḥ).
[3] Ou sur l’intention consciente (cetana).
[4] Ce verset est une reformulation de la Stance pour la reconnaissance I, 1, 4 : « En effet, les choses qui ne sont pas conscientes (par elles-mêmes) ont leur fondement dans les êtres vivants. Et on sait que la connaissance et l’action sont la vie des êtres vivants. »
[5] « Puissance d’action » et « Puissance de connaissance » doivent s’entendre au sens fort, c’est-à-dire comme omnipotence et omniscience divines. La Puissance d’action est le devenir temporel, c’est-à-dire la succession des phénomènes selon un certain ordre (voir Stances pour la reconnaissance, II, 1).
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