Puis regardes ton esprit,
Regardes celui qui regarde.
Si tu vois cela, tu es le Vainqueur.
par Le Précieux Dompteur de démons
Philosophie et mystique, voie de la connaissance et de l'amour. Philo-sophia, amour de la sagesse, désir de vérité, expérience et réflexion. Yoga ou union du cœur et de la tête. La philosophie comme yoga, la philosophie comme pratique, éclairée et nourrie par la tradition du Tantra et autres sources que nous ont léguées nos ancêtres. Formation tantra traditionnel.
33.
Si le (disciple) dit: "Bienheureux ! Quand ce corps brûle ou bien est brisé, c'est là une perception directe (et non une illusion) ! De même, la souffrance causée par faim, etc. est pour moi une perception directe. Or, ce Soi suprême est révélé dans toutes les Révélations et les Traditions comme "ce Soi non affecté par le péché, radieux, sans mort, sans peine, sans faim ni soif, dépourvu de toute saveur, de toute odeur"... Comment admettre que moi, être errant dans le cycle des renaissances, je pourrais être le Soi suprême, alors que j'ai les qualités opposées, doué que je suis des multiples attributs de la transmigration ? Et comment le Soi suprême pourrait-il être un être errant dans le cycle des renaissances ? Autant admettre que le feu peut être froid ! De plus, je suis un être transmigrant qualifié pour mettre en pratique les moyens qui permettent d'atteindre le Souverain Bien qui enveloppe tout ce qui est désirable[1]. Dès lors, pourquoi renoncerais-je entièrement à ces pratiques rituelles qui permettent de progresser vers le Souverain bien, ainsi qu'à la cérémonie de l'investiture du cordon sacré, etc., qui sont les moyens de mettre en pratique cette progression ?
34.
Le (maître) doit lui répondre : "Ce que tu as dit - à savoir, que c'est ton expérience directe que le corps est brûlé ou brisé - cela n'est pas vrai. Pourquoi ? Quand le corps semble brûlé ou brisé, c'est comme quand un arbre (est brûlé ou brisé). Parce que la brûlure ou la coupure est perçue dans le corps, l'objet de l'expérience de celui qui fait cette expérience est comme un arbre (qui est en train d'être brûlé ou coupé) : il se rapporte au même objet que la brûlure (ou la coupure). En effet, les gens situent la sensation de la brûlure (ou de la coupure) là même ou la brûlure ou la coupure ont lieu. (Cette) sensation, on ne la situe pas dans celui qui fait cette expérience. Comment cela ? Si on demande à quelqu'un "où est ta sensation ?", il va répondre, "cette sensation (de brûlure) est dans ma tête", "dans ma poitrine", ou "dans mon ventre". Autrement dit, il désigne exactement l'endroit où le phénomène de la brûlure a lieu, et non pas celui qui expérimente (cette brûlure). Si la sensation de brûlure était dans celui qui fait l'expérience, on désignerait (celui qui fait cette expérience) comme celui qui a cette sensation, tout comme on désigne l'objet qui est brûlé (à savoir l'arbre).[2]
35.
De plus, (si la sensation de brûlure était) en soi-même, on ne pourrait en faire l'expérience, de même que l'œil ne peut voir sa propre couleur. Par conséquent, la sensation n'est qu'un objet parce qu'elle est objet d'expérience, comme (l'arbre) qui brûle, car cette sensation est située au même endroit que la brûlure ou la coupure.[3]Comme elle est un phénomène donné dans l'expérience, elle a (nécessairement) un support (aussi objectif qu'elle), comme la poêle dans laquelle le riz est cuit. L'impression laissée par cette (sensation de brûlure) a exactement le même support (objectif) que cette sensation (, à savoir le corps). En outre, comme elle n'est expérimentée que dans le temps où la remémoration (est possible, à savoir les états de veille et de rêve), il s'ensuit qu'elle a le (même) support que la sensation. De même, l'aversion à l'endroit des objets causant cette (sensation de brûlure) a le même support (objectif) que cette impression elle-même. Voilà pourquoi (Śaṃkara) a dit[4] : "L'attraction et l'aversion, ainsi que la peur
Ont le même support objectif que les impressions matérielles (sur lesquelles elles portent).
On constate que tout cela est de la nature de l'intellect[5].
Par conséquent, le sujet connaissant est à jamais pur, sans peur".
[1] Litt. "les progrès" (abhyudaya).
[2] Le maître s'appuie sur un fait d'expérience courante : quand on me demande où est la blessure qui me fait souffrir, par exemple un coupure au doigt, je désigne spontanément ce doigt, et non pas moi. ALors pourquoi dire "J'ai mal" ? Il y a là comme une faille dans le jeu de l'illusion, anomalie révélatrice de la vérité finale : ce n'est pas moi qui suis coupé lorsque mon doigt est coupé, parce que, au fond, je sais bien que je ne suis par le corps ni les sensations corporelles. Il n'y a pas de différence réelle entre voir mon doigt coupé et voir une branche coupée. L'un ne me concerne pas plus que l'autre.
[3] La douleur est un objet, de même que ses causes. Si j'ai mal au pied, le pied est un objet. Mais la douleur est aussi un objet, car elle est située dans l'objet qu'est le pied. Elle est aussi différente de moi que ce pied ou cette chaise. La douleur est une chose parmi les choses.
[4] Ainsi, Śaṃkara se citerait lui même (Mille Enseignements, prose, XV, 13). Ce qui fait dire à certains que ce texte ne serait pas de lui.
[5] Or l'intellect (dhī) est de nature matérielle (rūpa). Il est de la même étoffe que n'importe quel objet. Il est un objet, et ses modifications (l'aversion pour la sensation de brûlure, par exemple) sont aussi des objets. Autrement dit, toutes nos impressions, mêmes les plus "intimes", sont des objets. Rien de ce qui peut-être perçu n'est "soi-même". S'identifier à la souffrance, aux sensations, etc. n'est donc qu'une confusion entre le sujet et les objets.
30.
(Le maître poursuit :) Dès lors, parce que la vision dualiste est condamnée (par la Révélation et la Tradition), et parce que la pratique des rites relève du domaine de la dualité, et parce que la cérémonie de l'investiture du cordon sacré, etc. sont des formes de pratiques rituelles, il faut savoir que (tout cela) va au rebours de la vision non dualiste du Soi suprême. Autrement dit, les rites et leurs moyens[1], tels que l'investiture védique, etc., sont contraires à la perception de la non différence (en soi) et le Soi suprême. De fait, les êtres qui transmigrent posent des actes/ accomplissent des rituels, avec leurs moyens comme par exemple l'investiture du cordon sacré, et ils ne voient pas la non-dualité du Soi suprême. Et la croyance en la dualité est la seule cause de la (croyance en) la différence entre (le soi et l'absolu).
31.
Si les rites doivent être accomplis, si il n'est pas nécessaire d'y renoncer, alors la (Révélation) n'aurait point proclamé la perception de la non différence entre soi-même et le Soi suprême, non dualité (absolue), sans rapport avec les rites et leurs moyens, sans relation avec les conditions liées à l'exécution de ces rites, telles que la caste, la condition et l'âge, etc., en des déclarations définitives, telles que, par exemple :
"Ce Soi, tu es cela".
De plus, elle n'aurait pas condamné la croyance en la dualité, par exemple dans ces passages :
"Voici l'éternelle gloire de l'absolu"
"Indemne de toute vertu, indemne de tout péché. Ici, le voleur n'est pas un voleur".
32.
La (Révélation) n'aurait pas déclaré que notre vraie nature n'a rien à voir avec les rites, ni avec leurs conditions de mise en œuvres, comme par exemple la caste, si elle ne désirait pas inculquer un total renoncement des rites et des moyens de leur mise en œuvre. Par conséquent, il faut renoncer aux actes rituels et à leurs moyens si l'on désire la délivrance, car ils contredisent la vision de la non dualité du Soi suprême. De plus, il faut voir que soi-même est le (Soi) suprême tel qu'il est définit par la Révélation.
Shamkara (c. 800), Méthode pour éveiller un disciple.
[1] "Et leurs moyens" : tout le mode de vie qui est nécessaire pour accomplir les rites quotidiens d'un brahmane, entre autre une femme, une maison, des biens, etc.
26.
Le maître doit répondre : "Tu ne mérites pas de voir les choses ainsi, ô toi qui es plein de vertus ! Car parler ainsi est défendu. Pourquoi cette vision dualiste n'est-elle pas permise (par la Tradition) ? Le maître doit alors citer (ces passages) :
"Il est différent. Je suis différent : celui qui dit cela ne sait pas"
"L'absolu abandonne celui qui voit l'absolu ailleurs qu'en lui-même"
"Celui qui ne voit que la dualité[1] en ce monde va de la mort à la mort"
27.
Ces passages de la Révélation suffisent à montrer que le cycle des renaissances vient de la croyance en la dualité.
28.
Par ailleurs, des milliers (de passages) montrent que la délivrance nait de la vision de la non-dualité : ainsi, après avoir révélé que le Soi est le Soi suprême
"Ce Soi immédiatement présent : c'est cela que tu es"
et avoir déclaré que
"Celui qui a un guide connaît l'Esprit",
ils montrent la délivrance simplement en faisant prendre conscience de la non-dualité:
"Pour celui qui (a un guide), la distance qui le sépare (de l'absolu) n'est que la distance (crée par la croyance en la dualité)". L'inexistence du cycle des renaissances est illustrée par l'exemple de l'ordalie dont l'innocent sort indemne et sans brûlure, alors que l'irruption du cycle des renaissances est illustrée par l'exemple du voleur qui est brûlé par la hache chauffée au rouge[2].
29.
Le passage qui commence par "En ce monde, que l'on soit un tigre ou bien (n'importe quelle créature, on est seulement l'absolu)", montre la non-dualité. Puis, ayant déclaré que "(celui qui voit la non-dualité) devient le souverain (de tout)", ils montrent en chacune de leurs branches qu'au contraire, la vision dualiste est la cause du cycle des renaissances : "Ceux qui voient autrement ont un autre souverain, dans des mondes périssables". Par conséquent, tu as tort de dire que tu es un fils de brahmane de tel lignage, renaissant sans cesse, différent du Soi suprême.
[1] Litt. "celui qui voit diversement".
[2] L'Inde a pratiqué l'ordalie, c'est-à-dire que quand un individu est soupçonné d'un crime, comme ici le vol, il doit saisir à mains nues une hache chauffée à blanc. S'il n'est pas brûlé, cela prouve son innocence. De même, celui qui est "innocent" de la croyance en la dualité n'est pas "brûlé" par le feu de la souffrance qui caractérise pourtant le saṃsāra.