Comment donc une (méthode) impure[1]
Pourrait-elle atteindre le seigneur Śiva,
Lui qui est à chaque instant manifeste,
Comblé par sa propre manifestation,
Lui qui est pure conscience ? 6[2]
(En vérité) le seigneur Śiva joue (à ce jeu de la quête spirituelle car)
Il est (souverainement) libre.
C'est lui-même qui oublie d'abord sa vraie nature
Avant se s'en ressouvenir
Grâce à des méthodes authentiques. 7
Même celui qui chemine lentement
Atteint peu à peu ce royaume
Où il réalise l'état de Śiva en sa plénitude
Sans (plus) dépendre d'aucune méthode. 8
Le corps (doit être) dans la posture du lotus,
Droit (mais) sans effort, bien détendu, immobile.
L'esprit est attentif mais ne vise aucun objet.
Le regard est posé dans la (direction) de la pointe du nez, les paupières à moitié closes.
Les mains sont (posées) au creux (formé entre le ventre et les cuisses).
On contemple le Soi par le Soi sans distraction.
Par la force de cet exercice de la volonté[3]
On obtient la véritable absorption de Śiva. 9-10[4]
Ou bien on contemple nos propres Puissances
Reflétées dans (le miroir) de notre lumière consciente
Sous la forme de la totalité des éléments (formant notre Soi)
A travers les méditations qui vont de A jusqu'à KṢA[5].
Nous réalisons alors directement en notre Soi qui est Śiva
Et sommes entièrement absorbés (en lui) sans tarder.
Telle est cette méthode de la volonté nommée "méthode de Śiva".
Elle est le yoga ultime. 11-12
Dans la méthode de la connaissance nommé "yoga de la Puissance",
Comme étant le déploiement de nos propres Puissances.[8]
On pénètre alors facilement en l'état de Śiva. 13
Et ses formes principales sont
Le sacrifice, l'offrande au feu, la récitation, le vœu et le yoga[9].
Dans ces (pratiques) méditatives et graduelles,
Toute chose apparaît clairement comme faite de conscience. 14
Le sacrifice est, selon la tradition,
L'offrande de tous les phénomènes
Dans le feu de la conscience.
La contemplation de l'offrande au feu
Est la consumation de toute chose
Dans le foyer flamboyant de la conscience. 15
Le yoga de la récitation,
C'est s'exercer encore et encore
A la pensée pure et parfaite à tous égards
Qui est manifestation de la conscience du principe suprême - Śiva. 16
Le vœu est la claire perception de toute chose
Comme étant identique au suprême Śiva. 17
Le yoga ultime est la prise de conscience répétée
De la liberté de la conscience pure et absolument comblée
Qui est la nature propre
Du Seigneur Suprême, l'insurpassable. 18
C'est ainsi que l'on s'enracine
Dans l'état du Suprême Śiva
Grâce aux méthodes de la connaissance.
Le yogi (de la voie inférieure de l'action) est celui qui pénètre peu à peu
Dans l'état de Śiva
En contemplant intensément
L'intellect, le souffle vital, le corps
(Et tout) ce qui peut être connu à l'extérieur
Comme ayant l'état de Śiva pour vraie nature. 19
Ce yoga est celui de l'individu,
Dans lequel l'action prédomine.
Il se divise en de nombreuses branches.
La première branche est la visualisation,
Puis l'actualisation du souffle vital
Et le yoga des postures divines. 20
Balajinnātha Paṇḍita, Le Miroir de la liberté (Svātantrya-darpaṇaḥ), Munshiram Manoharlal, Delhi, 1993
[1] Impure, imparfaite dans la mesure où elle s'appuie sur un objet inerte, qu'il s'agisse du corps, du souffle ou de l'intellect.
[2] Enoncé de la "méthode sans méthode".
[3] Icchā : l'élan inhérent à la conscience. Il n'est pas question ici d'intention, mais seulement de se laisser emporter (absorber) par le désir du Soi présent en tout être vivant.
[4] L'A. précise que ce yoga de Śiva ne doit pas être confondu avec le "yoga zen", car ce dernier ne peut conduire à l'état de Śiva souverainement libre, mais seulement à un état de sommeil très profond. C'est un lieu commun des Indiens comme des Occidentaux de voire dans le bouddhisme un "culte du néant". Il fait également le rapprochement avec l'enseignement de J. Krishnamurti mais juge celui-ci est particulièrement confus.
[5] Les lettres de l'alphabet sanskrit.
[6] bhāvanayā paśyan : on contemple par un exercice intellectuel.
[7] Tout ce qui se manifeste.
[8] Dans le yoga de la volonté, on se laisse spontanément absorber dans l'Elan profond sans rien connaître distinctement. Dans le yoga de la connaissance, on raisonne pour éliminer les idées fausses et s'absorber dans ce même Elan. En termes chrétiens, on pourrait dire que la méthode de la Puissance est une voie de lumières alors que la méthode de Śiva est une voie de foi nue, obscure.
[9] L'adepte pratique au quotidien ces rituels intérieurs et extérieurs - qui en tant que tels relèvent de la "voie inférieure de l'individu" - mais il les vit comme une expression symbolique de la philosophie de la reconnaissance (pratyabhijñā).
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