Quand
j'essaie de montrer la problématique récurrente de l'idéalisme ("tout
dépend de la conscience") et de l'externalisme ("la conscience dépend
de tout"), l'on peut à bon droit se demander ce que j'ai derrière la tête.
Mais à quoi donc vise mon propos ?
Premièrement, je prends l'argument de la
volonté limitée au sérieux. Notre volonté rencontre une résistance. Ou plutôt,
devrais-je dire, nos volontés rencontrent des résistances. Même si l'on croit
au libre-arbitre (et il ne manque pas d'arguments pour réfuter cette croyance),
il est clair que notre volonté "libre" est contrainte par mille
paramètres et circonstances. On peut même se demander si volonté il y aurait
sans cette résistance. De même, y aurait-il conscience sans objets pour la
colorer, lui donner formes et couleurs ? Y a-t-il figure sans fond ? Non. Y
a-t-il fond sans figure ? Non plus. Le fond est fond en dépendance d'une
figure. Donc la volonté donne accès à un Autre - ce dont la conscience est
incapable parce que, comme Midas, elle ne peut rien toucher sans le transformer
en conscience.
Épistémologiquement parlant - du point de vue de la connaissance,
donc - il est vrai que tout dépend d'un acte conscient. Perception, souvenir,
pensée, jugement, imagination : autant d'actes de conscience identique en
essence, mais déclinés en fonction de leur objet. Mais du point de vue de la volonté, tout ne dépend pas de moi,
quand bien même on définirait cette volonté comme un pouvoir inconditionné
d'accepter ou de refuser, de poursuivre ou d'interrompre, comme l'on fait les
stoïciens et Descartes après eux. Pour le dire autrement : Tout est dans l'acte
de conscience qui le met en lumière. Oui. Mais ce "tout" n'est pas
utilisable pratiquement. Pourquoi ? Parce qu'il est indifférencié : selon le
point de vue de la Reconnaissance par exemple, quand je perçois cet écran
d'ordinateur, je perçois "tout". Dans cette perception de l'objet
fini repose l'infini des objets, immergés dans la conscience. A strictement
parler, je vois donc mon avenir personnel et celui de tous les possibles ; je
vois aussi les numéros des prochains tirages du Loto. Mais tous ces détails
sont confondus, donc pratiquement inutilisables. Selon cette hypothèse, je suis
donc conscience qui prend conscience d'elle-même comme "écran
d'ordinateur" (pour simplifier), mais cet objet singulier est une
"contraction" de tous les objets possibles.
Donc,
du point de vue de l'acte conscient, il est vrai, semble-t-il, que je contiens
tout.
Mais,
pratiquement parlant, la conscience ne peut pas en tirer partie. Pour y
parvenir, il faut l'intervention d'une autre faculté : la volonté. Si je veux
que mon intuition d'un petit plat délicieux se concrétise, se particularise, je
dois passer à l'action. Or, l'action est un déploiement à l'extérieur de la
volonté intérieure. Ainsi, moi, conscience infinie, je dois vouloir et entre
dans l'action, donc dans le temps, pour jouir de moi-même. Or, cette volonté
rencontre des obstacles - extérieurs et intérieurs, au reste. Comme je l'ai
proposé, il n'y a que deux façon d'expliquer cette résistance : Soit, la
conscience souffre d'une psychose ; Soit, il existe une réalité extérieure. La
seconde solution me semble plus solide.
Deuxièmement, l'idéalisme conduit à mille
hypothèses toutes plus fantaisistes les unes que les autres. Du genre
"L'univers m'apporte ce que je veux"; "la Nature est bonne et
juste" ; "Dieu me teste" ; "Dieu/ l'Univers/ la Conscience
a un plan pour moi" ; "Si je veux, je peux" ; et toutes sortes
de croyances au paranormal, au surnaturel, au parapsychique, à l'occulte. Or,
pas un jour ne passe sans que ces croyances ne soient un peu plus réfutées et
expliquées par diverses disciplines scientifiques. Dieu - une personne,
bienveillante, omnisciente et toute-puissante, un créateur du monde - n'existe
pas. Il n'y a pas de dieux, ni d'anges, ni de monde astral, ni paradis ni
enfers, ni esprits frappeurs, ni archétypes, ni sens de la vie à découvrir
comme des chocolats dans une boîte. Pour le meilleur et pour le pire, la boîte
de Pandore de la science empirique a été ouverte. Impossible de revenir en
arrière. Quant aux tentatives de "réconciliation" de la science avec
les mythes pré-moderne ou les pseudosciences, ce ne sont que des tentatives
cousues de fil blanc pour neutraliser la puissance de la pensée critique en
rabaissant la science au niveau des pseudosciences, puisqu'il est impossible de
montrer que les pseudosciences ont le même niveau de pertinence que les
sciences.
Bref,
nous sommes seuls.
Mais
devons-nous pour autant désespérer ?
Imaginons
un instant que nous ayons suivis une "voie spirituelle", que nous
vivions une expérience de non-dualité. Et imaginons que la plupart des
croyances qui vont avec ces discours sur la non-dualité ne soient que des
croyances sans fondement, que se passerait-il ?
Imaginons
qu'il n'existe rien de tel qu'une conscience universelle. Pas d'âme de la
nature. Pas de Dieu, ni d'anges. Pas de corps subtil ni de chakras. Pas de
monde astral, pas de jugement dernier, pas de "sagesse de Gaïa".
Imaginons
qu'il n'existe rien de tel que la réincarnation, les vies passées et futures.
Pas de vibration mantrique, pas de sorties du corps ni de guérison quantique.
Pas de maître parfaits, pas d'éveillés, pas de kundalinî, pas de NDE. Pas de
gourou ni de lama ni de roshi parfait. Pas de Bouddha cosmiques. Pas de
transfert des mérites. Pas d'élévation du niveau de conscience planétaire. Pas
d'intelligence de l'univers. Personne capable de nous sauver.
Cela
altère t-il la qualité du silence ? De la paix - si intermittente soit-elle ?
Silence.
Arrêt. Fin de concert. Les bruits ressortent, les couleurs se ravivent, les
sensations émergent, flottent, s'en vont sans s'en aller. Quel spectacle ! Et
pourtant, ici, je ne crois en rien. Je n'ai pas de réponse. Y a-t-il une vie
après la mort ? Ce silence ne répond pas. Quel est le sens de la vie ? Silence.
Pourquoi tant de souffrance ? Silence. Absurdité limpide. De loin en loin, rien,
nada et encore nada.
Mais
quel silence ! Pas un silence triste. Ou plutôt, même si un parfum de
mélancolie l'habite (et pourquoi pas), il y a là une lumière, une transparence,
une légèreté. Je n'ai pas de réponse. Plus l'envie d'en trouver ; pas encore l'appétit
d'en inventer. Mais tout se passe comme si je n'avais plus besoin de réponse. Non pas que je sois enseveli dans une espèce de
torpeur abrutie. Mais, dans se silence, le réel est la réponse. Tout a changé ; rien n'a changé.
Je
crois que toutes les croyances incroyables énumérées plus haut sont, à leur
origine, des tentatives pour partager cette découverte époustouflante : tout
est changé ; et pourtant, rien, rien n'est changé. En ce sens - parce qu'elle
est indicible mais que l'on ne peut s'empêcher d'essayer de la partager - cette
expérience, ce silence, est mystique. Un ange passe. Mais il n'y a rien.
Mais
il est vrai aussi que nous cherchons des réponses. Nous réfléchissons, parce
que nous ne pouvons faire autrement et parce que c'est libérateur. Penser est
un plaisir ! Alors, pensons bien. Un Tibétain du XIVè siècle pensait. Mais
aujourd'hui, il passerait pour un ignorant au regard des progrès accomplis. Une
partie de ses connaissances reste valide. Mais le reste doit être abandonné. Et
pas simplement abandonné (c'est impossible, nous ne pouvons pas nous passer de
penser, de croire, de spéculer) : re-pensé. A nouveau frais. D'où la science, plutôt
que les pseudosciences ou les vieilles lunes.
En
disant ceci, je pense à une spiritualité pragmatique, économe en croyances,
ouverte à la science. Plus que cela, même : j'aspire à une exploration qui teste ses
affirmations, au lieu de toujours prêcher, fut-ce poétiquement, fut-ce
brillamment. Car le doute est un outil sans équivalent, une source d'étonnement
sans pareil et penser, critiquer, remettre en question, est l'une des plus
grandes joies qui nous soit données.
Rien
n'a de sens. Je suis un composé, passant. Un robot dans un désert sans vie.
Quelle merveille ! Quelle délectation ! Quels parfums !
Attention
: koân
Interessant jeu de concepts. Rien peut-être, et pourtant il reste à apaiser en soi et autour de soi... finalement vous êtes au bord de l'agenouillemnt....la vraie déflagration, la vraie pauvreté....lorsque vraiment, n'étant pas devenu fou, on n'est réduit à rien...rien..
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