Somânanda a consacré le chapitre V
de sa Vision de Shiva à établir
l'égalité de tout et de tous en la conscience. Sans la conscience comme ciment
des choses, seul le chaos régnerait. Ou alors, même pas le chaos (qui
présuppose déjà une certaine unité du regard). Shiva est l'être unifiant.
Si l'on admet qu'il n'y aurait
pas d'ordre
Sans principe unifiant,
Comment donc
Peut-on rejeter cette unité
(qu'est la conscience) ? (1)
La conscience d'une fourmi est la
même que la conscience de l'être suprême :
Car en tout et en tous,
Il y a une égalité en forme
d'unité. (2)
Les choses n'ont pas d'essence
propre. La conscience est leur essence. Voilà pourquoi elles peuvent se
transformer à l'infini et accomplir leurs fonctions. La conscience est infuse
en chaque chose, donc chaque chose est douée de volonté, de perception et du
pouvoir d'agir, même si ces pouvoirs sont plus ou moins évidents :
Toutes choses sont douées de
désir,
Toutes sont omniprésentes, toute
sont faites de toutes,
Et toutes sont dépourvues de
forme fixe.
Elles sont toutes, en essence,
conscience et liberté d'action.
Elles sont toutes puissantes.
Toutes, sans exception, sont
douées de conscience et de volonté. (4-5)
Somânanda donne l'exemple de la
flamme d'une bougie :
Si l'on objecte que tous les
vases et autres (objets inertes)
Sont bien pauvres en désir et
autres (pouvoirs conscients),
(Nous répondons qu'il n'en est
rien) : ailleurs, dans le corps des serpents, etc. ;
(De plus), les lampes et autres
(objets du même genre) ne sont pas pauvres en feu ! (7)
Cette idée, qui revient à
plusieurs reprises dans la Vision de
Shiva, est l'une des plus énigmatiques du shivaïsme du Cachemire. Somânanda
va jusqu'à affirmer :
Par conséquent, le vase existe
Parce qu'il se comprend lui-même.(34)
Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas
d'efficience sans conscience, laquelle définit "le fait d'être un
agent" (kartrtâ). Dans la mesure où le vase accomplit une fonction, il est
doué de conscience de soi :
C'est parce qu'il se connaît lui-même
Comme agent
Que le vase peut accomplir sa fonction
propre. (16)
Mais ce vase, c'est, en réalité, Shiva.
C'est la conscience qui prend conscience d'elle-même comme vase :
C'est Shiva en personne
Qui existe comme tel ou tel être,
telle ou telle chose,
Parce qu'il prend conscience de lui-même
Sous ces formes-là. (109)
Chaque être, mais aussi bien chaque
chose est donc omnisciente :
Les (choses) sont omniscientes
Parce que chacune est le Soi de toutes
les autres.
Le vase connaît par mon Soi,
Ou bien (ce qui revient au même),
je connais par le Soi du vase.
Ou encore, je connais par le Soi de
l'éternel Shiva,
Et il connaît par mon Soi.
Kévin connaît par le Soi de Shiva,
Shiva connaît par le Soi de Kévin.(104-106)
Il y a donc égalité de tous les sujets
et de tous les objets :
Ainsi, en tout être, en chaque chose,
Il y a égalité d'existence.
Parce qu'il est présent en tout,
On dit donc que tout est Shiva. (110)
Comme souvent dans les envolées lyriques des auteurs pré-modernes, tout semble sonner juste, jusqu'à ce que l'on en vienne aux détails. Ainsi, Somânanda, comme d'autres, voient de la volonté consciente jusque dans la pesanteur ou dans la moindre efficience. Schopenhauer explique sans sourire que la croissance des pédoncules de patates vers la lumière (quand elles sont stockées dans une cave) est une preuve que la Volonté est présente en toute chose. C'est sans doute là que des progrès peuvent se faire, non ?
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