La musique
atonale c'est, en très gros, la musique contemporaine. Ni rythmes, ni mélodies,
ni... rien. Des sons à l'état brut, sans logique, sans rime ni raison. Ce brut
n'est-il que du bruit ? Frédéric gros n'est pas loin de le dire dans cette
conférence, cocasse et cruelle à la fois :
Pourtant,
force est de constater que la plupart de ces compositeurs de non-musique furent
des chercheurs spirituels. Les titres de leurs œuvres le signifient clairement
:
Dès lors,
comment expliquer l'absurdité de leur musique, au point que personne ne
l'entend comme de la musique ?
Voici mon
hypothèse : Dans la tradition du Vedânta non-dualiste, la méthode pour conduire
l'auditeur à l'éveil est de construire un schéma, puis de le déconstruire. Un
mensonge, une pieuse fable, que l'on démonte ensuite. Pourquoi, pour laisser à
nu la conscience. On ne peut la pointer directement, car elle est partout. On
pointe donc quelque part - par exemple ici, au-dessus des épaules -, puis dans
un second temps, on dit que ce "ici" est partout et nulle part, qu'il
explose telle une sphère de présence sans limites. Autre cas : on dit que le
Soi, notre vraie nature, est le sujet qui ne peut jamais devenir objet. Puis,
dans un second temps, on dit que le Soi n'est ni sujet, ni objet. En fait, on
peut employer mille autres schémas, selon la culture et la mentalité de
l'auditeur. Ou des rituels, lesquels ne sont rien d'autre que des schémas en
images et symboles. Puis on dit que les rituels sont vains. Ou bien, on peut
voir cette pédagogie comme une intrigue et son dénouement. On pose une dualité
suprême, épurée, simplifiée (cause-effet, matière-forme, sujet-objet, simple-composé...),
puis on l'efface, révélation de la non-dualité. On suscite une tension pour faire
vivre un soulagement. Ou bien, c'est comme dire que la lune est "posée"
sur la branche de l'arbre. C'est faux, mais ça marche. Le Soi n'est pas le sujet.
C'est faux, mais ça marche.
Eh bien pour la
musique atonale, le même stratagème est à l'œuvre. Après des siècles de construction,
on déconstruit. Pourquoi ? Pour laisser place nette au silence sous-jacent. Ah,
j'entends s'élever des voix de protestation ! Mais le fait demeure. Et il y a des
précédents traditionnels, comme l'art zen : la peinture vide, la calligraphie "herbes
folles", la cérémonie du thé, l'art du tire à l'arc, voire des passages de
soûtras bouddhistes qui font exprès d'être absurdes, des charabias exprès pour nous
délivrer de nos charabias ordinaires. C'est fade, âpre, insipide. Exactement comme
le silence. Pour beaucoup, le vide est insupportable, ennuyeux car, au fond, anxiogène.
La musique atonale est une forme de folle sagesse, un koân musical, une musique qui pointe vers la
musique du réel : "Hé ! Écoutez ! Il y a aussi cette musique qui se joue maintenant,
à chaque instant, sans arrière-monde !"
C'est une approche intéressante mais qui peut, comme dans la majorité de l'art contemporain, justifier tout et, parfois, n'importe quoi.
RépondreSupprimerEtant donné qu'on n'est jamais sûr de la "réalisation" de l'auteur, seule notre réalisation intérieure devrait donc permettre de trier le bon grain de l'ivraie.
Le format du commentaire de blog ne se prête pas à une longue réponse mais on peut au moins relever le problème de prémisses mal posées.
RépondreSupprimer"La musique atonale c'est, en très gros, la musique contemporaine. Ni rythmes, ni mélodies, ni... rien. Des sons à l'état brut, sans logique, sans rime ni raison."
Premier problème, se placer sous le signe de l'a-tonalité. Ce privatif laisse entendre dès lors que la musique serait forcément liée à la tonalité. Or, le connaisseur de la musique indienne que vous êtes sait que cette dernière n'a rien à voir avec la tonalité, qui sous-entend architecture harmonique, modulations etc. toutes choses étrangères à la musique indienne.
La fameuse tonalité, champ ô combien fertile, ne concerne pour autant qu'environ deux siècles de musique occidentale. Bien entendu, elle est encore largement présente, mais à travers des pratiques musicales qui se contentent d'en appeler le plus souvent à ses schémas les plus rudimentaires sans chercher à la réinventer.
Quant à dire que les musiques échappant à la musique tonale sont désarticulées, sans rythmes, sans principes organisateurs, il n'est que de se pencher un peu sur la question pour apprendre qu'il n'en est rien et même, que les niveaux de complexité d'organisation des différents paramètres sonores n'ont probablement jamais été aussi élevés. Ce qui n'est certes pas sans poser problème pour une communication large sur ces principes. D'autant qu'on ne peut aucunement parler de "la" musique contemporaine, les diversités des langages complexifiant encore une appréhension qui se voudrait réductrice. Mais le véritable hiatus semble résider à mon avis dans la difficulté - et parfois l'impossibilité - pour le public de percevoir les principes organisationnels ayant présidés à la composition. A bien y réfléchir, ce n'est pourtant pas bien différent avec certains contrepoints très élaborés de Bach, Mozart ou les transformations formelles à l’œuvre chez Beethoven qu'à la vérité, bien peu de non-musiciens (et même chez les musiciens...) peuvent saisir. Mais il y a toujours la possibilité de se raccrocher à des îlots mélodiques, à une structure harmonique que l'on perçoit plus ou moins consciemment, ce langage ayant été tellement employé qu'il fait maintenant parti de notre adn perceptif.
De fait, il en est de même dans la création contemporaine, ou, à moins d'être soi-même compositeur (et de manipuler des outils similaires), on ne peut espérer percevoir analytiquement la totalité d'une oeuvre, d'autant que très souvent, il ne s'agit que d'une seule écoute, lors de la création. Cela n'empêche nullement de tirer un profit sensoriel, émotionnel et intellectuel de ces écoutes - pour peu que l’œuvre soit suffisamment réussie, bien entendu - en faisant travailler ses capacités d'écoute et en l'ouvrant vers d'autres paramètres que la simple enveloppe mélodique.
En guise de post-scriptum, je vous invite à écouter cette conférence tenue au Collège de France par Laurent Feneyrou où ce dernier dresse un rapide tableau des bouleversements qu'à connu la musique du XXe siècle et de certains des enjeux actuels. Surtout, à la toute fin, une référence faite à l'épochè phénoménologique, à l'attention à l'écoute de manière réflexive (parenté à travers le temps avec le camatkâra d'Abhinavagupta) devrait susciter votre intérêt.
Cordialement, (adverbe éculé dans les formules épistolaires mais qui a tout son sens sur ce blog ;-))