Carré blanc sur fond blanc, Malévitch
Dans un billet précédent, je me demandais si l'intention de l'art contemporain n'était pas de révéler l'ineffable par l'absurde.
Par exemple, la musique atonale, sans harmonie ni rythme, est un non sens aux oreilles des hommes. De même que bon nombre d’œuvres plastiques contemporaines. Mais ce non sens n'est-il pas un doigt qui pointe vers l'au-delà du sens ?
Il y a des précédents traditionnels.
La "folle sagesse", dans le tantra, le soufisme, le zen, entre autres exemples. Le sage passe pour un fou.
De même, pour partager la vision de notre vraie nature, pour éveiller son prochain, l'éveillé a souvent recourt a des absurdités. Ainsi Longchenpa, un maître célèbre de la tradition tibétaine du dzogchen, conseille-t-il d'attirer l'attention du disciple, puis de prononcer une phrase qui ne veut rien dire, pour mettre à nu la pure présence. Un peu comme percuter un poteau tranche le flot mental et révèle la pure conscience, dépouillée de toute projection.
Dans la tradition chrétienne, Denys le théologien (celui qui donne son nom au 93) voit dans l'absurde un accès radical vers le sacré :
"La révélation du sacré se fait selon deux modes. Le premier mode procède naturellement par de saintes images adéquates à leur objet. Le second mode pousse au contraire l'inadéquation des figures qu'il modèle jusqu'à l'extrême invraisemblance, jusqu'à l'absurdité.
A mon sens, cette seconde manière de le célébrer lui convient mieux, car, suivant la tradition secrète et sacrée, nous avons raison de dire qu'elle n'est rien de ce que sont les êtres et nous ignorons cette indéfinissable Suressence qui ne se peut penser ni dire."
Denys de l'Aréopage, La Hiérarchie céleste, 3, 140 trad. I. de Andia, in Denys l'Aréopagyte, p. 115
Voilà pourquoi l'ordinaire, le banal, autant, voire davantage, que le fastueux et l’harmonieux, peuvent faire remonter amont.
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