Un silence. Des voix innombrables. Bhaktapur
Dire ce qui ne peut l'être : c'est la mystique. Tension féconde à la source de mille nouvelles langues.
Parmi elles, on repère des parfums différents, comme si une même lumière était diffractée dans les facettes d'un cristal.
Le sanskrit est la langue "parfaite". Comme toutes les langues indo-européennes, il emploie des cas : nominatif, accusatif, etc.
On peut remarquer que les différentes langues de l'absolu, les discours des mystiques, mettent l'accent sur tel ou tel cas. Par exemple, certains courants soulignent le nominatif, l'agent, l'aspect subjectif de l'expérience de la conscience de soi. D'autres, au contraire, accentuent le côté objectif, impersonnel (accusatif). D'autres encore mettent en avant le lieu, l'espace (locatif). D'autres les origines, la généalogie (ablatif), par un travail sur le passé, par exemple. D'autres ne jurent que par les instruments, les moyens, les techniques et leur application rigoureuse (instrumental)...
On retrouve ces mêmes orientations dans tous les discours, en vérité. Le plus fort contraste étant celui du nominatif (sujet) et de l'accusatif (objet), par exemple entre le Soi hindou et le non-Soi bouddhiste, entre ceux qui affirment qu'il y a quelque chose d'irréductiblement subjectif, et ceux qui analysent tout en termes d'objets.
Le tantra non-duel pointe les voix du discours : première, seconde et troisième personne.
La première personne, en sanskrit, est le "il" objectif et impersonnel. La voie du "Juste Cela". Dans cette approche, notre vraie nature est simplement un fait vers lequel on attire l'attention : "Hé ! Regardez ! Tout est là."
La seconde est la voix intersubjective du "tu". C'est la voie de l'amour, du "Je t'aime", à la fois personnel et impersonnel, de la relation.
La troisième est la voix de la troisième personne - notre première personne -, celle du "Je suis", qui pointe directement la conscience comme espace ultime, absolument simple et infiniment riche.
Toutes les voix découlent de la première personne - "je suis je" - et du cas nominatif, l'agence, la conscience.
Abhinavagupta fait remarquer que cette voix - parole silencieuse que personne ne peut énoncer, que nul ne peut faire taire - infuse toutes les autres. Le "toi" est une façon de reconnaître que l'autre, comme chose, est en soi, en notre conscience, et qu'il n'est qu'une seule conscience avec nous. Même le "cela" objectif, apparemment le plus éloigné de la conscience, baigne dans le "je suis" vivant qui l'anime de sa pulsation ininterrompue. C'est ainsi que le poète s'identifie à des êtres inertes : "Parmi les montagnes, je suis l'Himalaya". Car rien n'est séparé de la conscience.
Ce qui est le cas en cet instant. Sans effort, sans avoir rien fait pour le mériter, sans avoir médité, travaillé, récité ou étudié, tout va et vient dans cette transparence, cette absence grande ouverte, n'est-ce pas ?
En cette simplicité toujours déjà donnée se déploient les grammaires de l'absolu.
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