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Entre le Vedânta de Shankara et la Pratyabhijnâ d'Abhinavagupta, il y a bien sûr des divergences :
-Théoriques :
Pour Shankara la conscience est inactive. Toute expérience est fondée sur l'aveuglement. L'absolu est seul réel. Le monde est une fiction.
Pour Abhinavagupta, la conscience est dynamique, et il y a deux registres d'expérience, selon que l'expérience est reconnue comme manifestation de l'unité consciente (on parle alors de "vision vraie", sat-vidyâ) ou qu'elle est méconnue dans l'oubli du fond conscient (on parle alors de "spectacle de magie", mâyâ). L'absolu est réel et le monde est sa libre manifestation.
-Pratiques :
Pour Shankara, la non-dualité est purement intérieure, elle ne doit jamais être mise en pratique. Le système des castes est valide à son niveau. Les femmes sont inférieures. Pour accéder à l'enseignement non-dualiste, il faut être un renonçant, un genre de moine.
Pour Abhinavagupta, la non-dualité est inclusive de tout. Elle doit être mise en pratique. Le système des castes n'est pas naturel, c'est une construction culturelle parmi d'autres. Les femmes sont la source de la connaissance la plus précieuse. Pour accéder à l'enseignement non-dualiste, il n'est pas nécessaire d'adopter un genre de vie particulier.
Toutefois :
-Shankara et sa tradition ont bien conscience de la tension entre la non-dualité et l'acceptation du système des castes, comme en témoigne l'épisode de la rencontre de Shankara avec l'intouchable. Shankara à Bénares tombe sur un intouchable. Il lui enjoint de dégager. Mais l'intouchable répond que le Soi est omniprésent. Où pourrait-il aller ? :
-Les Upanishads, source la plus sacrée de l'enseignement non-dualiste montre des "éveillés" ou des disciples non-renonçants, laïques (comme le roi Janaka), des femmes (comme Gargî), des bâtards (comme Satyakâma)...
-Le corpus tardif des "108 Upanishads", véritable musée de l'hindouisme ancien (d'avant l'islam), contient un texte purement dédié à la critique des castes et de la suprématie des brahmanes : c'est la Vajra-sûcikâ. En réalité, ce texte est une copie verbatim de la Vajra Sûci du bouddhiste Ashvaghosha...
Donc, sur ces points aussi, Vedânta et Pratyabhijnâ peuvent se rejoindre.
Le Vedânta, sauf à s'en tenir à une position dogmatique qui ignorerait délibérément les preuves disponibles, n'est pas basé seulement sur les Upanishads. Il s'est aussi inspiré du bouddhisme (sans l'avouer), du yoga (en particulier dans les petits traités tardifs attribués à Shankara), du tantrisme (avec la Shrîvidyâ) et d'autres formes de non-dualisme comme celui du Yoga-Vâshishtha.
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