Le grand arbre des tantras
Mais cette rumeur ne repose sur rien. D'ailleurs, je ne sais pas trop pourquoi les gens qui propagent ces croyances ne disent pas 500 000 ans ou 5000 000 000 d'années ? Tant qu'à faire !
En réalité, si l'on s'intéresse un peu à la vérité des choses, il faut admettre que les tantras sont très difficiles à dater.
Mais il est certain qu'aucun tantra n'est antérieur à l'an 400. Et que le gros des textes a été composé entre 900 et 1100.
Je n'ai pas du tout la prétention de traiter le sujet ici. Au reste, je pense que personne ou presque ne s'en soucie. Les gens qui s'intéressent au tantra sont souvent des consommateurs qui se fichent de la vérité comme du reste. Le plaisir, "ici et maintenant", est leur seule idole.
De plus, la source ultime des tantras est le tantra, la connaissance que l'absolu a de lui-même... oups : d'elle-même.
Mais donnons quand même un exemple de ce qui se passe dans les tantras. Considérons le cas des "versets qui se réincarnent", un peu comme des gènes qui se perpétuent d'espèce en espèce.
Prenons ce verset :
"L'esprit est comme une pierre philosophale.
Il devient tout ce que l'on désire".
Eh bien on le retrouve, avec des variantes, dans des textes de différentes religions de l'Inde et à des siècles d'écart.
Voici des exemples, en sanskrit. Par pour vous faire peur, mais juste pour vous montrer un peu de quoi il retourne et le genre d'aventure qu'est l'exploration des tantras et de la littérature qui va avec :
yena yena hi bhāvena manaḥ saṃyujyate nṛṇām |
tena tanmayatāṃ
yāti viśvarūpo maṇiryathā ||47||
Śāntarakṣita,
Tattvasidhi
yena
yena hi bhāvena
yujyate yatra vāhakaḥ || 31 ||
tena tanmayatāṃ yāti hrasvarūpo maṇistathā |
tena tanmayatāṃ yāti hrasvarūpo maṇistathā |
Kālottara, chap. 68
śrīmatsarvasrotassaṃgrahasāre
yena yena hi rūpeṇa sādhakassaṃsmaret sadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ ||
yena yena hi rūpeṇa sādhakassaṃsmaret sadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ ||
Kacchapeśvaraśivācārya, Kriyākramadyotikāvyākhyā, p. 313 (XIIe
siècle)
yena
yena hi rūpeṇa
sādhakaḥ saṃsmaret sadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ ||
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ ||
Jñānaśiva, Jñānaratnāvalī (p. 94)
yena
yena hi rūpeṇa
sādhakaḥ saṃsmaret sadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ ||
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ ||
Jayaratha, Tantrālokaviveka (I, 115) Triśirobhairavatantra ?
yena
yena hi rūpeṇa
sādhakaḥ saṃsmaretsadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ
Kṣemarāja, Netratantroddyota,
III, 25
yena yena prakāreṇa yatra yatraiva saṃsmaret || 8-54 ||
tena tenaiva bhāvena sa yogī kālajid bhavet |
yena yenetyāṇavena śāktena śāmbhavena vā | yatra yatreti nātra
deśakālāvasthādiniyama ityarthaḥ ||
ayaṃ ca yogī
yatra yatra sthito vāpi yena yena vratena vā || 8-55 ||
yena yena ca yogena bhāvabhedena siddhyati |
yena yena yogena tattatsaṃhitāsu yogapādoktena,
bhāvabhedenetyetattattvaniṣṭhabhāvanāviśeṣeṇa ||
tena tenaiva bhāvena sa yogī kālajid bhavet |
yena yenetyāṇavena śāktena śāmbhavena vā | yatra yatreti nātra
deśakālāvasthādiniyama ityarthaḥ ||
ayaṃ ca yogī
yatra yatra sthito vāpi yena yena vratena vā || 8-55 ||
yena yena ca yogena bhāvabhedena siddhyati |
yena yena yogena tattatsaṃhitāsu yogapādoktena,
bhāvabhedenetyetattattvaniṣṭhabhāvanāviśeṣeṇa ||
Netratantra, VIII, 54-55
nirmalaṃ sphaṭikaṃ yadvat tantau protaṃ sitādike || 9-7 ||
pratibimbeta sarvatra yena yena hi rañjitam |
tattad darśayate'nyeṣāṃ na svabhāvena rañjitam || 9-8 ||
tathā tathaiva deveśaḥ sarvāgamaniyojitaḥ |
phalaṃ dadāti sarveṣāṃ sādhakānāṃ hi sarvataḥ || 9-9 ||
pratibimbeta sarvatra yena yena hi rañjitam |
tattad darśayate'nyeṣāṃ na svabhāvena rañjitam || 9-8 ||
tathā tathaiva deveśaḥ sarvāgamaniyojitaḥ |
phalaṃ dadāti sarveṣāṃ sādhakānāṃ hi sarvataḥ || 9-9 ||
Netratantra, IX, 7-9
yena
yena hi bhāvena
yadyatphalajigīṣayā |
yadyadāśrayate bhaktyā tattatphalamavāpnuyāt || 22-67 ||
yadyadāśrayate bhaktyā tattatphalamavāpnuyāt || 22-67 ||
Netratantra, XXII, 67
yena
yena hi bhāvena
manaḥ saṃyujyate nṛṇāṃ ||
tasya tanmayatāṃ yāti viśvarūpo maṇiryathā |
tasya tanmayatāṃ yāti viśvarūpo maṇiryathā |
Parameśvarīmatatantra, p. 40a
yathoktaṃ sarvasrotaḥsaṃgrahasāre
-
yena yena hi rūpeṇa sādhakaḥ saṃsmaret sadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ || iti
yena yena hi rūpeṇa sādhakaḥ saṃsmaret sadā |
tasya tanmayatāṃ yāti cintāmaṇiriveśvaraḥ || iti
Umāpatiśivācārya, Śataratnasaṃgraha, I, 12
Oui, les rumeurs de datation sont souvent très fantaisistes, comme si on voulait créer des mythes…merci de remettre les choses dans un contexte plus réaliste (vous voyez, il y a des personnes qui s’en soucient !)
RépondreSupprimerPourriez-vous préciser votre pensée à propos de ce que vous nommez des "versets qui se réincarnent" ? Cela fait-il référence à la tradition orale ?
Et puis, à quand une autre « remise en datation » plus sérieuse, celle du yoga par exemple ? (je pense au yoga postural en l’occurrence)
Le verset que je donne en exemple "l'esprit pierre philosophale" est un exemple de verset qui se "réincarne". Un verset qui, avec des variante, se retrouve de texte en texte, à travers le temps.
RépondreSupprimerLe yoga postural remonte, pour les postures assises, à 400 ; et pour les postures non-assises, je dirais, à 1200. Mais il y avait des postures non-assises avant, des postures d'imitation de divinités, postures appelées mudrâs (d'où reste khecarîmudrâ) ou karana (d'où reste viparîtakaranî). Mais le hathayoga sans postures sophistiquées remonte à 800 : c'est simplement le yoga tantrique. En fait, il y a un cœur : la méditation assise, et puis des techniques sont venues se greffer là-dessus au cours des siècles.
Merci. Finalement, les Tantra seraient-ils antérieurs au système Trika ? Et si oui, d’où proviendraient-ils ? (vous semblez vous intéresser de près à la question…)
RépondreSupprimerLes tantras sont les "Ecritures" de différentes traditions tantriques. Et parmi elles, il y a le Trika.
RépondreSupprimerLes tantras les plus anciens datent de vers 500, en très gros.
Le plus ancien tantra du Trika, le Siddhayogeshvaîmata, date du VIIe siècle environ.
Mais il faut distinguer du Trika (qui ne vient pas du Cachemire) le "shivaïsme du Cachemire", tradition d'interprétation non-dualiste "post-scripturale", dont on peut dater le commencement avec les Spandakârikâ au IXe siècle.