Une image de l'individu
Attention je vous prie : le billet qui va suivre est "intellectuel". Je prie mes bons lecteurs de me pardonner ce faux-pas et de prier pour que mon intellect sombre au plus tôt dans le cœur de l'océan de la sublime déité. Ou pas. De toute façon, ne vous inquiétez pas, je vais faire mes courses au supermarché cet après-midi. Et je promets de lire une page de Deepak Chopra. Ça devrait suffire.
Le libre-arbitre est le pouvoir de la conscience de se déterminer par soi-même. Il ne fait qu'un avec la conscience. Or la conscience est évidente. Donc le libre-arbitre l'est également. Il ne se prouve pas, il s'éprouve.
Pourtant, la plupart des gens qui s'expriment aujourd'hui dans une approche non-duelle nient l'existence du libre-arbitre et lui substituent une forme de fatalisme. Le destin "est". Entendez, il n'y a personne pour changer l'"histoire". Il faut donc apprendre à l'aimer. Notons déjà que ceci présuppose l'existence d'une volonté libre d'accepter ou refuser ce qui est. Sans cela, à quoi bon ce discours de persuasion ? Pour persuader qui, s'il n'existe nul libre-arbitre ?
Toujours est-il que ce discours est très répandu dans les milieux non-dualistes, notamment par le truchement de Ramesh Balsekar, mais aussi dans les milieux scientistes et gauchistes. Pour ces derniers, le libre-arbitre serait une invention bourgeoise pour punir les pauvres. Peut-être. Mais cela ne nous dit pas si le libre-arbitre existe ou non. Bref.
En tous les cas, il est clair que les gens qui réfutent l'existence du libre-arbitre sont les mêmes qui réfutent l'existence de la conscience indépendante des objets. Dans les deux cas, la démarche est la même : il s'agit de réduire la conscience ou le libre-arbitre à des objets, des trucs, des machins, des bidules. Et dans ces objets il n'y a, bien sûr, ni conscience, ni libre-arbitre. De fait il est clair que quand on regarde le passé, on ne voit nul acte déterminé par la conscience, ni aucune conscience : on ne voit que des objets enchaînés par des lois.
Mais que vaut cet argument ? Pas grand-chose.
En effet, ces observations ne regardent pas dans la bonne direction. Le libre-arbitre, c'est-à-dire la conscience, n'est pas une chose que l'on peut voir objectivement, là-devant soi, à la manière d'une chaise, d'une sensation ou même d'une pensée discursive. La conscience est plutôt la source du regard, ou ce regard lui-même. Pour découvrir le libre-arbitre, il faut donc inverser la flèche du regard - de la conscience - et prendre conscience de soi comme simple conscience, indépendante de tout. Et donc souverainement libre.
Bien entendu, en tant qu'individu, je suis déterminé par des lois. Mais ce déterminisme ne contredit pas mon libre-arbitre, contrairement au fatalisme. Ce dernier nie toute création, toute nouveauté : selon le fatalisme, le futur existe déjà. Tout est accompli. Rien de neuf sous le soleil. Le déploiement des apparences est une vaste machinerie, un mécanisme répétitif.
Mais le déterminisme est tout différent. Non seulement il ne s'oppose pas au libre-arbitre, mais même il le rend possible. Prenons par exemple mes paroles en ce moment : sans les lois de la langue, de la grammaire, je ne pourrais m'exprimer. Le déterminisme des mots, loin d’empêcher la libre expression, en est au contraire la condition de possibilité. Celui qui affirme que les lois du langage l'empêchent de s'exprimer librement ne pourrait même pas exprimer cette doléance sans l'existence de ces lois ! De même que celui qui nie la conscience ne pourrait nier la conscience s'il n'était conscient !
Bien sûr que je suis, en tant qu'individu, déterminé à être et à agir par des lois dont, le plus souvent, je n'ai pas une conscience claire et distincte. Mais je peux apprendre à connaître ces lois. Dès lors que j'en prends conscience, je m'en affranchi radicalement : comme dit Socrate, savoir que l'on ne sait pas est le premier pas vers la sagesse et la liberté de vie.
Mais voici le plus important :
En amont de ce libre-arbitre et de cette conscience partielles qui peuvent progresser, je découvre une autre conscience, une autre volonté, un autre libre-arbitre. Quoi ? Une pure conscience-volonté-élan-jaillissement indifférencié dans laquelle tous les possibles coexistent. Je le ressens à l'aube de toute émotion, à l'orée de tout acte, au premier instant de toute décision. Cette expérience est intuitive, elle précède tout choix et se trouve donnée. Je ne puis que la reconnaître.
Même comme individu, je reconnais en moi cette volonté infinie, pouvoir absolu de dire "oui" ou "non" à ce qui se présente. Car l'individu existe : il est conscience et libre-arbitre contractés, et non point pure illusion. Certes il est incomplet, contracté, imparfait car il est conscience qui s'ignore et qui se croit imparfaite et cette imperfection est une croyance qui ne correspond pas à ce qu'il est. Mais il n'en reste pas moins que cette imperfection résulte de la perfection de la conscience, et que même l’aliénation, la dépendance que l'on constate chez l'individu, est un dérivé de l'absolue liberté qu'il est en réalité.
Certains non-dualistes résolvent le problème du libre-arbitre en niant l'existence de l'individu, de sorte qu'il n'y a plus ni libre-arbitre ni fatalisme, qu'il n'y a plus de problème. Mais cette solution est juste seulement à condition de reconnaître que l'individu n'est pas un simple agrégat d'objets - de sensations, de pensées, de souvenirs - mais aussi la conscience infinie qui assume librement la finitude. Une conscience contractée reste une conscience. Une liberté auto-limitée reste libre.
Donc le libre-arbitre existe.
Je crois que le fatalisme est prope de la croyance du vedanta dualiste, pour qui l´etre est une machine de trois gunas qui se deploye toujours dans diferents kalpas, eons, toujours semblable, sur la progresion des lois de la nature, un peau comme le mechanicisme du Hobbes et de las res extensa de Descartes, materialisme qui influera dans Marx et son materialisme deterministe. Mais vous disez que tout est conscience libre qui librement se contracte. Le libre arbitre de l´individu est un reflet du libre arbitre de la superconscience. Donc la conscience individuelle est une contraction de la superconscience. Je ne sais pas si c´est le meme que vous disez dans votres libre quand parlez de ahambhava et purusa, conscience comme Shiva et comme individu. Shiva se contracte en conscience humaine, purusa, est ce la parole de Abhinavagupta? Donc, la conscience qui se contracte le fait volontairement, donc vous affirmez Dieu comme libre volonté, comme conscience personelle volontairement fait individu, de qui l´homee est un reflet?
RépondreSupprimerÀ mon sens, la question qui se pose en définitive est de savoir qui est conscient. La conscience comme lieu d’apparition des phénomènes, oui. La conscience comme processus interprétatif des phénomènes, non. Ce qui interprète les phénomènes est, selon moi, l’individu considéré en tant que mécanisme biologique produisant de la pensée au moyen d’une combinaison de sous-processus cognitifs qui établissent une carte mentale, une représentation symbolique du « réel ». Évidemment, cela n’a rien à voir avec le « réel », mais permet dans une certaine mesure de s’y mouvoir avec plus ou moins de bonheur.
RépondreSupprimerLà où ça se complique, c’est que l’individu peut-être réduit à sa plus simple expression : c’est-à-dire être réduit à rien. Avant ce rien, il est réductible à la somme de ses cellules, qui sont elles-mêmes réductibles à la somme des molécules, puis des atomes, des particules élémentaires et enfin de l’énergie de liaison des quarks surgie sans doute de ce rien. Ce rien dont on ne peut rien dire, si ce n’est qu’il est peut-être la cause de toutes les causes, elle-même sans cause. Je me rends alors compte (mais c’est toujours un symbole sur une carte mentale) que ce que je crois être n’est en fait rien. Le phénomène que je suis n’est fondé sur rien et par rien. Ce que je crois faire est décidé en réalité par rien. Ce que je suis, en tant qu’individu, est seulement une étape dans un processus circulaire, infini et incréé. Je suis un truc-bidule qui apparaît à un moment dans un mécanisme discursif. Je suis un truc-bidule, un objet de la conscience qui tente de se saisir lui-même et de trouver pour calmer sa peur le début de sa généalogie de ce processus sans commencement ni fin. Le libre arbitre dans ce cas semblerait exister dans le périmètre très étroit de la zone d’existence que l’on nomme l’individu.
Ce que vous décrivez ressemble beaucoup à la thèse défendue par le Sâmkhya : d'un côté, une pure conscience sans arbitre car sans contenu ; de l'autre, une nature avec libre-arbitre, mais sans conscience. Cependant, selon le Tantra, une conscience sans liberté est impossible, car la conscience est l'essence même de la liberté.
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