Yoganarasimha, temple vaishnava de Melkote, Karnataka, photo de l'auteur
Le hathayoga, ou yoga postural, s'est répandu à travers le monde. Il a aujourd'hui des millions d'adeptes.
La thèse prédominante sur les origines du hathayoga est qu'il a été élaboré principalement dans un milieu shivaïte, et propagé par la secte de Goraknâth, les Goraknâthîs ou Nâthyogîs.
Mais James Mallinson, un chercheur anglais, est en train de remettre ces théories en question. Les textes sanskrits ou prâkrits, ainsi que la connaissance du terrain, ont beaucoup progressé ces dix dernières années.
Il en ressort que les postures non-assises du hathayoga proviennent principalement de milieux vishnouïtes shrîvaishnava ou pâncharâtrika.
D'autre part, il y aurait eu, vers le XVIIIe siècle, une fusion de l'école vishnouïte avec l'école dashnâmî de shringerî. Ce sont eux qui auraient produit la plupart des textes de hathayoga que nous connaissons. Cela consonne bien avec mes lectures de ce genre de textes et avec ce que l'on sait par ailleurs. Ainsi le jagadguru de Shiringerî Sacchidânanda Shivâbhinava Narasimha Bhârati, l'éditeur-compilateur de l'édition des œuvres de Shankara en 1910, était un fan du hathayoga. Cela colle aussi avec ce que l'on sait de Krishnamâchârya à la même époque et dans la même région. Il était shrîvaishnava. Et cela expliquerait, en outre, la tradition de yoga de Narasimha, avec sa pose en bhairavamudrâ et sa ceinture de yoga (voir la photo ci-dessus).
En revanche, James Mallinson soutient que la place des Gorakhnâthîs a été largement surestimée dans l'élaboration du hathayoga. En réalité, les Gorakhnâthîs n'ont que peu contribué au hathayoga, en dehors du Yogabîja au XIIe siècle et de la Hathapradîpikâ au XVe siècle. Il dit :
"Je ne connais pas un seul texte sanskrit sur le hathayoga ou un seul commentaire écrit par un membre de la tradition Goraksa Yogî depuis la Hathapradîpikâ".
"A ce jour le lien des Nâth Yogîs avec le yoga n'existe que dans les mots : j'ai cherché en vain à trouver des adeptes du hathayoga parmi les Nâths d'aujourd'hui. Parmi les écoles importantes de hathayoga en Inde aujourd'hui, aucune n'a un gourou Nâth ; la majorité sont affiliées aux Dasnâmî sannyâsîs".
Source : The Yogi's Latest Trick
Il ajoute :
"Même l'attribution de la Hathapradîpikâ aux Nâths n'est pas certaine. Elle pourrait relever une tradition siddha plus vaste" (ibid.).
De fait, comme le note Mallinson, la Hathapradîpikâ mentionne dans sa "lignée" Allâma Prabhu, un maître vîrashaiva.
Je note aussi que toutes ces grandes figures et centres mentionnés à propos de la composition de ces textes se situent, comme par hasard, au Karnâtaka... A mon sens, cette région de l'Inde est l'une des plus riches, mais aussi l'une des plus négligée par les chercheurs spirituels occidentaux.
Et de manière générale, il se confirme que les Nâth Yogîs ont fait feu de tout bois... Ces yogîs ont toujours été davantage des sorciers que des méditants. Je conseille donc la prudence à tous ceux et celles qui seraient tentés par cette tradition d'aventuriers et de mercenaires. Ce sont les yogîs Nâths qui sont à l'origine de l'image de yogîs comme magiciens cruels et sans scrupules qui est encore vivante parmi les Indiens, surtout ceux du Nord. Les chefs récents et actuels de cette secte dans le Nord de l'Inde - Avaidyanâth et Âdityanâth - sont en effet des militants politiques peu recommandables, voire des truands. J'ai visité leur monastère et j'ai fréquenté un temps - il y a longtemps ! - ces milieux de sorciers mafieux. Bien sûr, les Nâths sont très nombreux, et il y a sans doute des gens bien parmi eux. mais encore une fois, je ne peux que conseiller la plus grande prudence.
Quoi qu'il en soit, le vishnouisme tantrique semble avoir joué un rôle dans l'élaboration du yoga beaucoup plus important qu'on ne pensait. Le hathayoga n'est pas l'apannage des Nâths. Les sectes vishnouïtes Râmânandî et Dashnâmî ne pratiquèrent pas seulement la bhakti (la dévotion), mais aussi le yoga. Il est temps de remettre en question le cliché de l'incompatibilité entre yoga et bhakti.
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