Le maître Trésor Caché nous enjoint de
"tout déposer en un seul lieu" :
en la conscience, espace du frémissement intime et inévitable,
évident au présent, dénudé entre deux pensées,
dans l'intervalle de deux respirations.
"En un lieu"...
Mais ce lieu unique n'est pas un lieu,
il est le Lieu de tous les lieux,
le Lieu où tout à lieu,
par qui tout arrive.
L'Espace (âkâsha) est
"ce qui donne lieu" (avakâsha).
Or, si je ne me sens pas à l'aise,
si j'ai la sensation d'être écrasé,
de manquer de place,
c'est pas parce que je me fixe en un seul lieu ?
Au lieu d'être nomade en l'Être,
je veux que mon corps,
mon sentiment,
mon idée,
soit le seul Lieu,
soit Moi.
Je me sédentarise,
je me fixe et m'attache,
refusant de vivre sans habitat (nirnikéta),
oubliant que
"l'Homme n'a pas de lieu où poser sa tête".
On dit souvent que l'ignorance,
c'est se perdre dans le Multiple,
dans l'extérieur,
dans le bavardage,
dans les actions.
Mais Abhinava dit que l'ignorance,
c'est l'oubli de la liberté,
et que la liberté,
c'est être libre de soi,
ne pas être fixé en soi, prisonnier,
même du Soi.
C'est rester soi
en sortant de soi,
dans le don de soi,
dans l'acte d'offrande
sans lequel il n'est pas d'amour,
pas de vie,
pas d'être, même.
Le Secret de la Déesse (Tripourârahasya) transmet ce même message :
"Se croire séparé,
c'est se reposer en un seul lieu.
C'est cela, l'ignorance,
la conscience incomplète,
méconnaissance de (notre) plénitude." (XVIII, 87)
"Se reposer en un seul lieu" (éka-déshé souvishrâmah),
reposer en un fragment de soi,
prendre la partie pour le Tout,
le reflet pour le miroir,
la vague pour la mer,
le "cela" pour le "je".
Le péché n'est pas d'être.
Le péché n'est pas le Moi.
La sensation "je" est, au contraire,
notre Mantra, notre Signe,
parfum de l'Incréé que,
tels de fins chiens,
nous devons pister.
Non, le péché
est de se fixer, de se limiter,
de faire mine de s'enfermer
"dans un seul lieu",
d'y chercher son plein repos (sou-vishrâma),
alors que ce repose,
nous, être venant de l'infini et voués à lui,
nous ne pourrons le goûter qu'en l'Infini.
Nous nous acharnons (sou-)
à faire du fini, l'Infini.
En même temps, cela est beau aussi,
car c'est aussi le Don,
ce désir fou de s'incarner,
d'incarner, de mettre
l'océan dans une goutte.
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