Si l'éveil dépend de la pratique de la méditation,
alors cette pratique est veine.
En effet, même si grâce à cette pratique je vis des moments de calme, le bavardage intérieur réapparaîtra,
et j'aurai le sentiment de perdre mon calme.
Sans éveil ni compréhension, toute pratique est vaine,
même celle de la méditation et du yoga.
De fait, il est impossible de "supprimer"
définitivement le mental
et autres facultés du corps et de l'esprit.
Le yoga de Patanjali ("le yoga est la suppression des activités mentales") est une impasse,
une sorte de suicide impossible à atteindre.
Qui est déjà parvenu à "supprimer" son mental
et ses cinq sens ? Et à quoi ressemblerait cet individu ?
Gaudapâda, un maître non-dualiste, se moque doucement
de ceux qui veulent "maîtriser le mental" par la méditation.
Il compare leur démarche à celle d'un imbécile
qui voudrait vider l'océan avec une petite cuillère...
Et surtout, croire que la maîtrise du mental
est une condition de l'éveil est une impasse,
une voie sans issue. Au contraire, la maîtrise du mental
découle spontanément de l'éveil,
c'est-à-dire de la compréhension, de l'intuition, que
"je ne suis pas le mental ni le corps",
et que rien n'existe indépendamment de
la lumière de la conscience.
Le passage suivant, attribué à Shankara,
fait bien la distinction entre la voie de la connaissance, la voie de l'éveil d'une part, et la voie de la méditation ou du yoga de l'autre :
D'une part, il y a ceux pour qui le mental et les facultés
des sens, etc., n'existent pas réellement comme quelque chose de plus que leur
essence véritable qui est l'absolu, car (ils ont compris que le mental et les
sens) sont (simplement) imaginés à la manière dont une corde est prise pour un serpent.
Pour eux, pour ceux qui (sont certains que) l'absolu est leur essence
véritable, ce que l'on appelle la libération, qui est absence de peur et qui
est une paix indestructible, est réalisée de par cette essence même, sans
dépendre d'autre chose...
Mais pour les yogis qui ne sont pas ainsi, il y a un
"chemin" (à suivre, car) leur vision est étroite ou médiocre. Dans
leur vision (erronée), le mental est autre (que l'absolu), il est quelque chose
de plus que le Soi, quelque chose qui affecte le Soi (de l'extérieur). Pour
tous ces yogis qui n'ont pas compris que le Soi est la (seule) réalité, l'absence
de peur dépend de la maîtrise du mental. Et donc, pour eux la fin de la souffrance
dépend aussi (de la maîtrise du mental). Car pour ces gens qui manquent de
discernement, il n'y a pas de fin de la souffrance tant que le mental est
actif, (puisqu'ils croient que le mental) les affecte/ qu'il est
"leur" mental [litt. : "le mental est en relation avec soi/ avec
le Soi"]. Et donc, pour eux, l'éveil au Soi/la compréhension du Soi dépend
aussi de la maîtrise du mental. Pour eux, la paix appelée
"libération", toute "indestructible" qu'elle soit censée
être, dépend entièrement de la maîtrise du mental.
(Gaudapâdakârikâbhâshya,
III, 40)
Shankara pointe ici l'absurdité d'une démarche spirituelle
qui "dépend d'autre chose" : comment une activité
qui a un début et une fin pourrait-elle produire autre chose
qu'une expérience passagère ?
Voilà pourquoi la quête d'un état "sans pensées" (nirvikalpa-samâdhi) est une croyance qui fait obstacle à l'éveil.
C'est une perte de temps et d'énergie.
Une telle pratique de méditation ou de prière, etc.
est basée sur l'erreur qui inverse l'ordre réel des choses :
je crois que je dépend du mental,
alors que c'est le mental qui dépend de moi,
lumière consciente éternelle.
Tant que je crois que la "paix" intérieure
dépend de tout, je n'en aurais jamais fini ;
la seule et unique solution consiste à comprendre,
intuitivement et en toute clarté,
que tout dépend de moi ;
et à vivre dans cette assurance sereine.
Je suis méditation.
Dans le shivaïsme du Cachemire et sa philosophie de la Reconnaissance, on retrouve le même enseignement.
Comment croire que la lumière consciente, dont tout dépend,
pourrait dépendre de quoi que ce soit ?
A quoi bon chercher à éclairer le soleil avec une lampe ?
N'est-il pas ridicule de "travailler" à dégager les choses
pour "faire de l'espace", alors que tout s'étend déjà dans l'espace ?
Quel sens y a-t-il à méditer pour éclairer la lumière ?
Telle pensée ou sensation me gène ? - Soit.
Mais je suis l'espace dans lequel tout cela apparaît !
Cet espace n'est pas le résultat d'une action,
sinon il serait impermanent,
comme tout le reste...
Ma paix, la paix que je suis,
ne dépend de rien,
d'aucune pratique.
Tant que j'ai le moindre doute à ce sujet,
cette paix "indestructible" ne restera qu'un mythe,
une cause de frustration,
même si je médite, même si je pratique régulièrement
une forme ou une autre de technique apaisante.
Toute pratique de méditation
est-elle donc totalement inutile ?
Bien sûr que non !
Mais la méditation a pour but de m'entraînner
à me concentrer, afin de comprendre la non-dualité,
afin que ces belles paroles débouchent sur une certitude parfaite et d'une limpidité absolue.
La méditation exerce à retourner l'attention vers la source de la lumière, vers le témoin que je suis au-delà de toute,
vers la conscience comprise comme "ce qui est le plus intérieur", ce qui ne peut jamais devenir objet,
mais qui illumine et donne lieu à tous les objets.
Et toutes les autres pratiques
(végétarisme, morale, yoga, prière, rituels, purifications en tous genres, danse, massage, ping pong...)
n'ont de sens, spirituellement,
que dans cette perspective.
Ce sont des outils de concentration,
des aides à la compréhension.
En elle-même et à elle seule,
la méditation est inutile ;
le yoga, pris en lui-même,
"n'est pas un moyen de libération",
comme dit Shankara.
Le seul moyen direct de libération,
d'apaisement et de guérison,
c'est la compréhension
que je suis conscience,
lumière dont tout dépend,
mais qui ne dépend de rien,
jamais, nulle part.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pas de commentaires anonymes, merci.