Un matin d'octobre 2003, si ma mémoire est bonne, j'étais assis à écouter un homme qui se présentait comme l'un des héritiers de la philosophie de la Reconnaissance (en gros, le "shivaïsme du Cachemire"). Je me souviens qu'il faisait chaud. Et humide. Nous étions dans la chambre de sa nouvelle maison, quelque part à Bénarès, et j'avais passé la nuit sur le sol de ciment du salon, avec pour seul couchage deux pièces de tissus. Réveillé à quatre heures du matin par les hurlements stridents de la pompe à eau, je n'étais pas d'humeur facile. Mais j'étais lucide.
Assis sur le toit, nous lisions un texte sanskrit du philosophe Abhinava Goupta, le Paramârtha Sâra. A un moment, mon maître du moment expliqua, conformément à la pensée de l'auteur, que "tout est le jeu de la conscience" - de cette conscience qui est Dieu, ici appelé Shiva, mais peu importe.
Je lui demandais alors ce que Dieu pouvait bien trouver d'amusant à jouer au jeu de la Shoah.
Il me répondit (mais il ne connaissait sans doute pas la Shoah) que c'est Dieu qui joue à se prendre pour ceux qui tuent, et également pour ceux qui sont tués. Donc personne ne tue réellement, personne n'est vraiment tué. C'est comme dans un rêve : si je rêve que je tue, est-ce que je commets un crime ? Si je rêve que je suis tué, est-ce que je suis victime ?
D'un côté, il ne se passe rien de réel (mais ça c'est plutôt la réponse du Védânta) ; de l'autre l'assassin et sa victime sont un seul et même être. C'était ce que voulait dire mon maître.
Son idée était que si l'on se fait du mal à soi, et seulement à soi, alors on ne fait pas de mal. Cette apparence de mal, c'est le propre du jeu. "On dirait que"..., comme disent les enfants. Le présupposé est que l'on ne peut se faire de mal à soi-même. La conscience universelle se fait la guerre à elle-même. Mais c'est un jeu, non un mal, car tout ce qu'elle fait, elle se le fait à elle-même.
Je lui répondais que cette idée peut être inquiétante. Quand une personne se fait du mal à elle-même, elle n'est pas réputée être en bonne santé...
Dieu est-il malade ? Si Dieu, c'est-à-dire la conscience universelle, joue à être à la fois bourreau et victime, ne doit-on pas admettre la conséquence : Dieu souffre d'une sorte de psychose. La dualité n'est-elle pas la psychose d'une conscience qui se déchire elle-même ?
Quand on voit les horreurs de la vie (et pas seulement de la vie humaine), comment peut-on encore parler de "jeu de la conscience", sans parler d'amour ? Si, vraiment, Dieu joue librement à se torturer, il est soit sadique, soit masochiste, soit les deux. Dans tous les cas, il est gravement malade, à un échelle infinie, si l'on admet que l'univers est infini.
Et le fait que la conscience universelle se divise en des personnages ne ressemble-t-il pas beaucoup à un trouble de dissociation ? Comme dans un film récent, Dieu serait un psychopathe aux innombrables personnalités dissociées.
C'est ce que la bataille de la Bhagavad Gîtâ met en scène avec tout le tragique de la plus grande épopée indienne, le Mahâbhârata. L'humanité s'auto-détruit, c'est-à-dire que Dieu s'autodétruit. Et la "conscience-témoin" serait alors l'équivalent de la conscience du malade dissocié, qui est prisonnière de sa posture de "témoin" des personnalités qui se succèdent en elle, sans pouvoir y remédier. Dans le Mahâbhârata, l'humanité périt et Krishna, l'avatar divin, meurt d'une flèche dans le pied. Tout s'achève dans le feu, la cendre et la solitude.
Le "jeu de la conscience" ne serait-il pas une maladie cosmique ?
Mon maître n'avait pas la réponse et j'avoue que ces objections ne me semblent pas avoir reçues de réponses convaincantes.
Dieu nous a offert la liberté , la liberté de façonner notre être et le monde. Restons humble et revenons à notre expérience première siège de toute vérité.
RépondreSupprimerAttirance et répulsion, plaisir et douleur, lever et coucher, infatuation et abattement, etc..
tous ces états participant aux formes de l univers se manifestent comme diversifiés mais en leur nature ils ne sont pas distincts. Chaque foi que tu saisis la particularité d un de ces états, attentif aussitôt à la nature de la conscience comme identique à lui, pourquoi, plein de cette contemplation ,ne te réjouis-tu pas?
Intéressant.
RépondreSupprimerJe mettrais en perspective avec l'écriture de fiction.
RépondreSupprimerQu'est ce qu'on peut trouver amusant d'écrire du Madame Bovary qu'une vie simple ? Pourquoi, en musique, alterne t'on tension & résolution ?
Cela dit c'est secondaire, ce qui serait plus intéressante, intellectuellement parlant, ce serait justement de dégager les axiomes - propositions indémontrables - de votre vue sur la conscience.
Il y a un gourou Américain (Andrew Cohen, dont l'organisation s'est effondré suite au fait que bien le gars aurait finalement un gros ego..) qui a basé son enseignement sur l'évolution de la conscience... Cela a t'il un sens au niveau de la conscience ? Par contre on constate bien une évolution dans la forme...Bref.
RépondreSupprimer