Le Védânta donne peu de place à la pratique de la méditation. De même que la Reconnaissance.
Pourquoi ?
Parce que, pour eux, l'état de méditation est le Soi, aussi appelé "conscience" ou "lumière", que je propose de rendre par "Inconscience" pour des raisons énoncées dans des billets précédents. Mais ça n'est pas le plus important.
Le Soi est l'absolu envisagé du point de vue de la Première Personne. Il est l'absolu car il est toujours présent. Mais il est présent à l'état brut dans ce que nous appelons le "sommeil profond", sans rêves, qui est aussi la même expérience que celle de l'évanouissement, du coma et des innombrables intervalles de silence entre deux pensées, entre deux cognitions, que nous traversons durant l'état de veille, chaque jour. Ce sont ces "blancs" qui passent généralement inaperçus et qui sont le Soi, le samâdhi.
Or, cette expérience est celle de la pure lumière absolue, "pure" en ce sens que dans le sommeil profond, elle n'a aucun objet à éclairer, alors que durant la veille et le rêve, elle éclaire les objets intérieurs (privés, comme les pensées, les souvenirs et les sensations) ou extérieurs (publics, comme ces mots, les montagnes et les chats) et se "reflète" sur eux.
Il est donc inutile de chercher à engendrer un "état" que nous traversons à chaque moment. En même temps, il est impossible de méditer dans cet état, au sens où il est impossible d'y réfléchir, car sa définition est justement l'absence de réflexion, c'est-à-dire l'absence de toute dualité. C'est donc maintenant qu'il nous faut réfléchir et penser à ces "états" que nous vivons jour après jour sans y prêter attention.
Or, l'état de sommeil profond n'est pas vraiment un état, car il est dépourvu de tout contenu. On pourrait certes dire que son contenu est justement que "je n'étais conscient de rien, sans rien sentir", mais cette interprétation est entièrement relative à l'état de veille. Dans l'état de sommeil profond lui-même, il n'y a rien, aucun objet. Il n'y a pas non plus une lumière qui éclairerait un espace vide à la manière d'un phare dans l'obscurité. En fait, ce "il n'y a rien" énoncé a posteriori est l'expression maladroite de l'absolu. Car il n'y a rien, au sens ou il n'y a rien d'autre.
La plus ancienne Oupanishad propose des images : c'est comme être immergé dans l'océan. Plus de repères. Plus d'autre. C'est le Soi, mais pas un Soi posé en opposition à un Autre. Un Soi simple, donc ineffable. Shankara dit qu'aucune expérience, ni aucun raisonnement ne peuvent déboucher sur cet absolu, car cette idée est tellement simple et inespérée que nul ne pourrait y penser par ses propres moyens, si l'Oupanishad ne le lui soufflait. La Reconnaissance est plus optimiste, mais au final elle conclut pareillement : la Lumière est si souverainement libre qu'elle peut se cacher à elle-même et que nul autre qu'elle-même ne peut se révéler à elle-même.
La pensée, quoi que nécessairement, ne peut par elle-même réaliser la Lumière, car elle n'en est qu'un reflet limité. Et il en va de même pour l'expérience ordinaire. Elle est tout entière révélation du Soi. Aussi, nulle expérience particulière ne saurait la révéler, sauf la reconnaissance, mélange singulier d'expérience ordinaire et de réflexion : "cette Lumière qui manifeste tout librement et dont parlent les sages, c'est moi, ici et maintenant", "ce Soi est l'absolu", etc.
On pourrait alors dire que les seuls états que nous vivons sont le rêve et la veille. Mais eux non plus ne résistent pas à l'examen car ils ne durent pas. Or le critère du réel est que seul est réel ce qui est toujours présent. Voilà pourquoi nous ne nous préoccupons pas du tigre qui nous poursuivait dans notre rêve de la nuit passée. Mais il en va de même de l'état de veille. Il nous livre un "monde" sans doute plus cohérent mais, du point de vue de la Première Personne, il n'est pas différent du rêve. Il est un flot d'images et de mots qui semble surgir dans l'espace abyssal du "sommeil profond", c'est-à-dire de la Lumière. Mais ça n'est qu'apparences, puisque ça ne dure pas, comme un rêve.
Pour la Reconnaissance, ces "états", c'est-à-dire nos personnalités (car elles changent, et brusquement, d'un rêve à l'autre ; nous avons pu être des héros cette nuit, puis des lâches au réveil, etc.), nos corps, nos mondes, sont comme des vagues dans l'océan de la Lumière spontanée. Pour le Vedânta, il n'y a que la Lumière et rien d'autre, la métaphore de l'océan et des vagues n'ayant qu'une valeur provisoire.
Soit.
Mais comment relier cette vision, indubitable de son point de vue propre (mais n'est-ce pas le cas de toute vision ?), avec la vision objective, à la Troisième Personne, celle de la science ?
De fait, cette méthode permet de savoir des choses que l'approche en Première Personne, par méditation ou contemplation, ne permet pas de savoir. Pour ne prendre qu'un exemple parmi mille, aucun méditant, aucun philosophe (sans parler des prophètes et des illuminés) n'est jamais parvenu à savoir quelque chose d'aussi simple que : "la terre est ronde". Sauf Ératosthène, mais ils le su en appliquant les maths à l'expérience, ce qui est justement la méthode scientifique.
Alors comment relier ces deux extrémités, si contraires en tout ?
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