Quand la souffrance est trop intense,
vient parfois un moment où l'on
se tourne vers la vie intérieure,
la possibilité pressentie
d'une vie de paix et de joie,
fondée sur la connaissance expérimentale.
L'expérience de la vie intérieure
comprends deux moments :
l'éveil et l'intégration.
L'éveil est la réalisation de notre Moi profond au-delà du mental, par exemple en savourant la pure présence entre deux pensées.
L'intégration est la réalisation que le mental est lui aussi pure présence silencieuse, comme les vagues ne sont pas séparées de la mer.
L'éveil est facile. Il s'agit de voir que, même sans aucun bavardage intérieur, "je suis". Il y a ici une dimension de réflexion pour voir aussi les implications de cette vision. Autrement, on se dit "bon, et alors ?". Le tout n'est pas de trouver le trésor. Encore faut-il reconnaître qu'il s'agit bien du trésor. Si on le prend pour un tas de cailloux, on passe à côté. Mais se voir soi-même est facile. Se voir sans image ni concept. C'est facile car simple. Il n'y a pas de couches, ni de facettes, aucun voile ne peut recouvrir notre essence, sauf la croyance qu'il existe des voiles.
L'intégration est difficile. L'obstacle principal est la croyance que les pensées interrompent la Présence. Il est très difficile de reconnaître la présence au-delà des pensées en plein cœur de l'agitation des pensées. Il faut donc d'abord reconnaître cette présence en l'absence des pensées, entre deux pensées.
Mais du coup naît la croyance que les pensées et le silence de la pure conscience sont incompatibles. C'est l'obstacle ultime. A cause de cette croyance, on est "en famine", on croit que l'on ne peut "méditer" tant qu'on est plongé dans l'agitation du quotidien. De ce fait, on reporte sans cesse la "méditation" en se disant que, plus tard, quand les enfants seront grands, quand la crise sera passée, quand on aura fini les courses, quand on sera au calme, on pourra alors se consacrer à l'essentiel.
En réalité, cette idée que le mental est un adversaire du silence, de la paix profonde, est ce qui nous empêche profondément de vivre la paix. D'autant plus que c'est, typiquement, une manipulation mentale, une entourloupe dont nous sommes à la fois bourreaux et victimes.
Donc la méditation où je regarde pour de bon si vraiment les pensées empêchent la clarté silencieuse de briller, est vitale. Sans cela, on se retrouve dans l'impasse. La plupart d'entre-nous sommes bloqués là. Et il en va de même pour les sensations, les émotions, les tensions... Nous les jugeons comme des ennemis. Alors qu'il faut accepter aussi ces tensions, ces refus, ces fuites et ces distractions.
Pourquoi l'espace sans limites craindrait-il les pensées ?
Une pensée est une phrase, faite de mots, lesquels sont faits de syllabes. Les syllabes sont des sons, qui sont des vibrations. La conscience est vibration. La tradition du tantra non-duel rappelle cette expérience : le bavardage qui empoisonne les vies humaines est fait de mots, faits de syllabes. Ces syllabes sont les Yoginis, les Dakinis, les énergies de l'Être, du silence, du vide tout-puissant qui palpite ici-même, en cet instant.
N'est-il pas ridicule que l'océan ait peur des tempêtes ? Dire "oui", c'est dire oui au "non" aussi ! Et dire "oui" au "non", c'est concrètement prendre conscience des tensions, du bavardage... mais sans commentaire. Et si un commentaire surgit, il est aussi accepté, accepté énergétiquement. Il ne s'agit pas d'accepter son SENS, mais juste de l'accueillir comme sensation. Et alors il se détend.
Il ne s'agit pas, en effet, de croire à la pensée "je suis quelqu'un de nul et malheureux" et de l'accepter en s'y résignant. Ce serait une sinistre torture ! Non, mais ce qui est puissant, c'est de l'accueillir comme vibration dans notre corps subtil qui lui-même "flotte" dans l'espace infini. L'écoute de la tension se dilate dans le silence. Sans rien forcer. Sans crainte, sans avoir peur de la peur.
Mais cela ne suffit pas. Il faut encore réaliser que la pensée est présence silencieuse. Une pensée est un mot, un mot n'est pas séparé du silence vivant dans lequel il émerge. Il faut le comprendre intellectuellement et le vivre pour en être convaincu. C'est vital. Sans cela, point de paix profonde. Comment pourrait-on vivre tranquille tant que l'on se croit menacé par le mental ?
Même si l'on vit un moment de silence, on reste angoissé par le retour du mental, des tensions, de l'agitation. Est-ce la vraie paix ? est-ce la joie véritable ?
Non. Donc il faut regarder les pensées pour voir si, oui ou non, elles sont la paix même, ou bien si la paix ne revient qu'après la disparition d'une pensée. Tant que la Présence reste conditionnée, ça n'est pas la Présence.
Une autre impasse est celle de la transcendance hautaine : se réfugier dans un "mais je suis la Présence qui n'est pas affectée par les pensées". Il y a alors encore coupure entre les pensées et la Présence et l'idéal d'une Présence ininterrompue reste un doux rêve.
Bien sûr, nous pouvons croire qu'il est possible de vivre à jamais sans aucune pensée. Mais cela n'est justement possible que dans l'acceptation des pensées. Tant que nous croyons que le mental est notre ennemi, nous resterons les esclaves du mental.
Les pensées ne disparaissent jamais complètement. Mais elles changent de qualité. Elles ne sont plus ressenties comme des irruptions qui interrompent le silence intérieur. Le bavardage se fait plus rare. Les pensées surgissent en harmonie avec le silence, comme dans vagues de clarté dans l'immensité intérieur.
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