mardi 6 octobre 2020

Plonger dans le désir ou se détacher du désir ?

Saraha, adepte tantrique... mais bouddhiste


 L'attitude la plus courante envers le désir est illustrée par cette parole attribuée à l'adepte tantrique bouddhiste Saraha :

"Si la pensée que 'cela est beau'
touche ton cœur et que tu la chérie,
elle ne causera que souffrance."

(Cité dans The Royal Seal of Mahamudrâ p. 159)

Bien sûr, cet enseignement promet par ailleurs une transmutation de la passion en compassion. Mais la vision en arrière-plan de ces pratiques alchimiques, en apparences des proches des pratiques tantriques originelles, reste une vision négative du désir, donc du corps, de la femme, de la vie, etc. L'utilisation de la femme par l'adepte bouddhiste n'implique aucune dignité du désir ou de la femme. Bien au contraire, cela n'exprime que l'habileté du bouddhisme, capable d'employer le pire (le désir, la femme) pour arriver au meilleur (le détachement, une renaissance masculine). 

Que l'on compare maintenant cette approche avec celle de la tradition Kaula, centrée sur la Shakti, la puissance divine féminine, dont le désir est le visage le plus pur :

"L’énergie d'extase créatrice du Seigneur est partout présente de la 
façon que voici : c’est d’elle seule que procède tout mouvement dont 
l’essence est félicité. En effet, lorsque l’on perçoit un chant mélodieux, ou le parfum du santal, etc., l’état [ordinaire] d’indifférence (jada) s’efface et l’on éprouve dans le cœur une vibration qui n’est autre que ce que 1'on nomme énergie de félicité ( ânandasaktî ) : c’est grâce à celle-ci que 
l’homme est « doué de cœur » {sahrdaya) [et non une brute insensible]." 

(Abhinavagupta, Tantrâloka III, 208b-210, p. 189, trad. Padoux).

Et :

"Celui qui te dit insensible (jada), c’est lui l’insensible, prétendant à tort être doué de cœur (sahrdayam). Et pourtant, il me semble qu’en cette insensibilité réside [précisément] la louange, car en cela il Te ressemble !" 
(Id., I, p. 126, trad. Silburn)

En effet, l'ascète qui désire se détacher du désir, est en réalité Dieu qui joue au jeu de l'indifférence (jadatva), de même que Dieu se manifeste comme chose inertes (jada), telles que les pierres, etc. L'ascète est celui qui désire être une pierre, qui veut atteindre à l'extrême de l'inertie, qui refuse le mouvement. En cela, "il ressemble" à la conscience qui joue à se solidifier comme matière. En réalité, il est la conscience qui joue à se cacher ainsi d'elle-même.

Cette comparaison illustre on ne peut plus clairement la différence de vision. D'un côté, le désir est mauvais par essence, toujours cause de souffrance, même si on peut "l'utiliser habilement" pour le détruire, usant ainsi du mal contre le mal. De l'autre, le désir est l'essence même de l'absolu, "l'énergie e félicité". Le yoga ne consiste alors pas à s'en détacher, mais au contraire à y plonger pour le laisser se dilater, retourner dans l'état d'expansion infinie qui est son état originel.

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