Les Kâma-soûtras...
Philosophie et mystique, voie de la connaissance et de l'amour. Philo-sophia, amour de la sagesse, désir de vérité, expérience et réflexion. Yoga ou union du cœur et de la tête. La philosophie comme yoga, la philosophie comme pratique, éclairée et nourrie par la tradition du Tantra et autres sources que nous ont léguées nos ancêtres. Formation tantra traditionnel.
lundi 30 mai 2022
La voie du désir
lundi 23 mai 2022
Le linga dans le yoni ?
lundi 16 mai 2022
vendredi 13 mai 2022
Stage éveil et méditation en juillet
Cinq jours en juillet pour découvrir notre véritable nature au-delà du mental, à travers le souffle, le Mantra et les approches de la méditation du Tantra du Cachemire.
Dans l'ancien monastère et château de La Poujade en Dordogne, un lieu magnifique dans une des plus belles régions de France.
Inscriptions et informations :
04 79 81 90 78 (Pierre Chatel)
ou 06 80 45 59 64 (Evelyne Chevillat)
lundi 9 mai 2022
La pierre de Shiva
Il y a un peu plus d'un millénaire, vivait au Cachemire un grand yogi du nom de Vassougoupta. Il habitait en ermite dans la vallée encaissée de Datchigam, au pied du mont Mahâdeva, la montagne du Dieu des dieux, Shiva.
Là, il reçut, en rêve ou dans une vision - les versions divergent - un enseignement oral, la quintessence du yoga des yoginîs et des siddhas (adeptes réalisés). On dit aussi qu'il les reçu de Shiva en personne. Mais comme la lignée est Shiva, cela revient au même. Selon une autre version, Shiva lui aurait commandé d'aller à un certain rocher au bord de la rivière qui coule au bas de sa vallée sauvage, laquelle se trouve juste derrière la grande vallée du Cachemire.
Une fois réveillé, il se rendit à cette pierre. Quand il la toucha du doigt, elle se retourna et il y vit, comme gravés, soixante-dix aphorismes (sûtra) qui forment le plus ancien texte du "shivaïsme du Cachemire". Puis le rocher se retourna à nouveau, les paroles disparurent de la pierre, mais Vassougoupta les avait gravé dans sa mémoire.
Il les enseigna à son disciple, le poète Kallata, qui composa alors le Poème de la Vibration (Spanda-kârikâ).
Sur cette vidéo, vous pouvez voir ce rocher, nommé Shankarpal, à ne pas confondre avec les friandises indiennes du même nom. Comme on voit, cela ressemble assez à un paysage alpin :
jeudi 5 mai 2022
Et si l'égoïsme était la porte de l'éveil ?
"Non pas libérer le Moi, mais se libérer du Moi". Le Moi est haïssable, car il rapporte tout à soi, jetant ainsi un soupçon de corruption jusque sur les actes les plus nobles. Je me demande alors s'il existe vraiment un seul exemple avéré d'acte désintéressé. L'égoïsme, l'amour-propre, ne sont-ils pas le fond naturel de toute activité vivante, depuis le moustique jusqu'à l'ange ? Mais alors, pourquoi ne pas remonter jusqu'à Dieu, ou jusqu'à celui qui, selon la Bible, a proclamé "Je suis Dieu et nul n'est plus grand que moi" ?
Le poison de l'ego est-il donc universel et sans remède ? Le problème est que le remède à l'égoïsme est toujours un autre égoïsme, plus vaste ou reporté sur un autre objet. Au lieu de me préférer, je préfère ma famille, ma nation, ma foi, mon monde. L'égoïsme est un monstre qui se déplace, qui se transforme, mais qui ne naît ni ne meurt.
Dans un précédent billet, je me demandais s'il existe vraiment des actes désintéressés. Il est impossible de voir les intentions d'autrui, tout comme sa conscience se dérobe. Ma propre conscience et mes propres intentions ne sont pas non plus parfaitement fiables. Je sais que je peux me mentir à moi-même, jouer à me justifier, à rationaliser après-coup. Faut-il donner des exemples ? Je peux certes tenter de juger l'arbre à ses fruits, mais c'est là une autre entreprise hasardeuse, et là non plus les exemples ne manquent pas. L'égoïsme est une sorte de radioactivité résiduelle dont nul ne semble pouvoir se débarrasser.
Et pourtant...
Me revient à l'esprit ce célèbre et étrange dialogue entre le sage indien Yajnavâlkya (Shiva ?) et la non moins sagace Maïtreyî (Shakti ?), échange qui rappelle, en substance, que tout est aimé pour l'amour de soi. Mais ceci ne confirme-t-il pas le propos précédent ? Eh bien non. Car la beauté de la langue sanskrite, dans laquelle est rapportée cette parole plusieurs fois millénaire, est que le mot "soi" (âtmâ) peut désigner à la fois l'ego et... autre chose. Un Moi transcendant. Un Moi qui n'est pas "mon ego à moi".
Mais ce Moi est-il vraiment un autre Moi que le Moi égoïste ? L'enseignement de Yajnavâlkya suggère justement que non. Il n'y a qu'un seul et unique Moi, et tout se fait par amour pour ce Moi inévitable. L'égocentrisme est universel et ne souffre nulle exception.
Mais alors ? Eh bien, justement, par le fait même ! L'universalité de cet égoïsme pointe le remède à l'égoïsme : le poète védique nous indique le remède en indiquant le mal. Comment est-ce possible ? Parce que l'égoïsme, en sa vérité, est la reconnaissance du Moi universel, mais seulement incomplet. L'egoïsme ou amour-propre ou amour de soi, est seulement un amour universel - car ce Moi universel est le Moi de chacun - un amour inconditionnel encore immature. Yajnavâlkya suggère donc de dépasser l'égoïsme en le poussant à fond, ou plutôt jusqu'à son fond ultime ; qui est le Soi, le Moi universel, transpersonnel, base de toute relation interpersonnelle comme de toute vie personnelle, depuis le moustique jusqu'à Dieu. Tous les êtres sont donc tous plus ou moins égoïstes, certes, mais à des degrés divers. Et cela fait une incommensurable différence. Car l'égoïsme inconditionnel est amour inconditionnel. Car en cet égoïsme, je reconnais en Moi le Moi universel, et je reconnais aussi en l'autre ce même Moi. A travers ce regard, ces gestes, ces paroles... Un Moi en d'innombrables corps, dans d'innombrables mondes. C'est la reconnaissance (pratyabhijnâ) du mystère universel (îshvara) en soi (âtmani).
Utpala Deva a développé cette philosophie originale et puissante au Cachemire, vers l'An Mille, dans un poème du même nom. Cependant, quelle est sa motivation pour la partager ? N'est-il pas, lui aussi, égoïste ? Avide de reconnaissance, justement ? Oui, répond son commentateur, Abhinava Gupta, oui il est égoïste, comme tout être conscient. Mais il l'est à fond, il l'est en entier. Et donc, il ne l'est plus au sens ordinaire. Il ne demande plus rien, car il ne manque de rien, car il déborde de la plénitude du "je suis". L'ego se transcende, c'est son mouvement naturel. Il est invincible ? Mais, oui ! Il est invincible parce qu'il est divin. Sache que "Je suis" et reste tranquille. Muet. Ebahi devant le mystère. Ouvert à l'Immense. Toute transparence, suspendue dans l'intemporel intervalle.
Le remède à l'ego est l'explosion de l'ego. Assainir l'ego par le tout-à-l'ego. Indispensable. L'amour est un ego infini. L'égoïsme est un amour fini et donc inachevé. Le problème n'est pas l'ego, mais les limites de l'ego. Tel est le secret de l'Inde éternelle, mais aussi de la tradition abrahamique dans son meilleur. Le "je suis" est le Féminin de l'être. Le "je suis" est l'Acte, la pulsation fervente et absolument muette qui enseigne, guide et guérit.
A méditer enfin, cette énigme d'Utpala Deva :
"Seigneur !
Toi seul tu es le Soi de chacun.
Or, chacun s'aime !
Ton amour est donc
accompli par nature.
Qui le sait devient le Maître."
mardi 3 mai 2022
Encore mieux que le détachement : être désintéressé
Il me vient aujourd'hui un point essentiel, mais dont il est très rarement question. On dit que l'on doit se détacher de tout. C'est vrai, et c'est possible quand on sent une plénitude, un attrait intérieur. Car s'il l'on essaie de se détacher sans cette contrepartie positive, on finira par se sentir de plus en plus frustré, jusqu'à revenir encore plus fort dans nos vieilles habitudes.
Mais il y a autre chose : la vie spirituelle exige beaucoup. Et le plus qu'elle exige, c'est que nous aimions la Présence pour elle-même.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Quand je regarde ma vie spirituelle, je constate que j'aime les bienfaits de la Présence, ses dons en quelque sorte. Le calme, la joie, la sensation de légèreté, d'harmonie, de facilité. Et même, le plaisir, le plaisir physique de sentir, de ressentir cette "vibration" d'être, si profonde. Et ensuite, ces dons ruissèlent en cascade sur les autres dimensions de ma vie. La plénitude intérieure apporte sécurité et une sorte de confiance, une insouciance, des consolations, des compensations, un élan et une énergie.
Or, il est clair que tout ceci peut être détourné par l'ego. Je le sais parce que j'en ai fait mille fois l'expérience. L'ego récupère cette paix, cette énergie, pour satisfaire son amour-propre, son besoin d'appropriation et de contrôle. Combien de gens ont fait carrière sur ces dons de la Présence ? Et je ne parle pas seulement des "gourous" ! Mais bien de nous tous ou de la plupart d'entre nous. Nous vivons des grâces de la Présence. Et nous aimons ces grâces, quand nous ne sommes pas totalement ingrats.
Mais pour autant, aimons-nous la Présence pour elle-même ? Supposons qu'il n'y ait plus aucun don, plus aucune consolation, ni sensible, ni mentale ? Serions-nous encore dans l'amour de la Présence ? Non, sans doute. Notre "amour", notre attrait pour la Présence est donc une sorte de commerce. Disons les choses clairement : nous donnons de l'attention, du temps, contre l'argent des bénéfices que nous ressentons. C'est donnant-donnant. Dès que je ne reçois plus, ou moins, j'investis moins. Soyons honnêtes : pour la plupart d'entre nous, la vie spirituelle est un bizness. La Présence est une manne, un filon, nous l'exploitons pour nourrir notre égoïsme. C'est dur à entendre, mais n'est-ce pas vrai ?
Qui aime la Présence d'un amour désintéressé ? Qui l'aime gratuitement, comme elle nous aime gracieusement ? Qui l'aimerait si elle ne donnait rien ? Quel cœur est capable de l'aimer, elle-même pour elle-même, et non "je l'aime pour elle m'aime" ou "je l'aime pour moi-m'aime" ?
Or, quel amour est-ce là, qui est intéressé, habile, prudent et comme calculé ?
On répondra peut-être qu'un tel amour désintéressé est au-delà de nos capacités, qu'il est déraisonnable de demander pareille pureté, que c'est au-delà de nos forces et que, peut-être, ça n'est pas naturel...
Mais regardez que que l'amour humain exige, ou même ce que l'amitié mondaine exige ! Ne doit-on pas la fidélité à ses amis et à ses proches, quand bien même on n'en retirerait nul profit pour soi ? Même si cet idéal est destiné à rester un idéal, n'est-ce pas là du moins l'idéal dont nous avons conscience ? Comment donc notre relation à la Présence pourrait exiger moins que cela, alors qu'elle nous donne infiniment davantage ?
Ne pas chercher la Présence pour ses dons, mais pour elle-même. Cette direction est inévitable, même si ce breuvage nous paraît trop amer encore. Mais cela est du à notre manque de maturité. Enfant, le thé nous paraissait insipide ; aujourd'hui, nous payons pour ses subtilités. Je parie qu'il en ira de même pour notre vie spirituelle. Nous portons déjà ce pressentiment. Nous rechignons devant le vertige du sacrifice total - parce que c'est bien cela dont il s'agit - mais nous savons déjà que c'est inévitable.
De plus, demander, calculer et vérifier, tout cela trouble notre repos, notre joie, notre délectation. Et si nous plongions les yeux fermés ? Sans attendre, sans ces demandes implicites, sans cette mendicité qui alourdit notre jouissance simple ?
Aimer le silence pour cette Présence mystérieuse, cet insaisissable "loin-proche" qui comble en s'échappant. Tel est le destin spirituel. Mieux que le détachement : le désintéressement. Nu, pur, simple, candide, confiant, intègre, ne demandant rien, accordant tout, offert comme l'enfant sur le sein de sa mère. Sans retour, sans intérêt, sans réflexion ni examen. Simple. L'amour pur. Franc et qui affranchit.