mardi 6 mai 2025

Tantra, la trame


Quand on « googlise » le mot tantra, on tombe souvent sur des massages exotiques, voire sur des sites d’escorte, une forme de prostitution de luxe. Mais qu’est-ce donc que le tantra ? 

Le tantra vient d’Inde. Le mot, en sanskrit, signifie d’abord « tissu », puis par extension « trame », « canevas », et enfin « texte », voire « traité ». En vérité, on ne parle pas du tantra au singulier, mais des tantras, ces textes multiples et parfois foisonnants.

Alors que les traditions védiques privilégiaient la transmission orale, le tantrisme fait du livre un support spirituel essentiel. Le mot tantra est formé de la racine tan, « tendre, étendre, déployer », et du suffixe tra, qui indique un instrument. Tantra peut donc désigner l’instrument d’un déploiement. Cela peut vouloir dire : ce qui se déploie grâce à un autre (tantra dépendant) ou ce qui se déploie par soi-même (tantra autonome). Autrement dit : tout est dépendant, sauf la conscience, qui seule est libre.

Historiquement, les premiers tantras apparaissent au IVe siècle. Ce sont d’abord des textes de rituels, car le tantrisme est essentiellement une spiritualité incarnée dans des actes. Le vocabulaire en témoigne : vidhi (procédure), kalpa (rituel), krama (ordre), hom (rituel du feu), yajña (sacrifice), pūjā (offrande), etc. Peu à peu, ces rituels se sont intériorisés, donnant naissance au yoga tantrique, ancêtre de bien des yogas modernes.

Des doctrines sont ensuite apparues, mais elles restent secondaires par rapport à la pratique. Le tantrisme, concrètement, c’est une vie faite de gestes rituels, de symboles, de mandalas, de mantras.

Dans le bouddhisme, où il a été intégré comme voie « habile » pour guider les êtres, le mot tantra désigne aussi la conscience fondamentale, permanente et indestructible au fond de chacun.

Les tantras peuvent être très courts ou former d’immenses recueils. Un système tantrique ressemble souvent à un mandala, avec un tantra principal au centre et des tantras secondaires en périphérie, expliquant les pratiques, les buts ou les pouvoirs associés.

Entre le VIIIe et le XIIe siècle, le tantrisme atteint son apogée. On le retrouve dans toutes les grandes religions de l’Inde : shaiva, vaishnava, bouddhiste, shakta, comme les branches d’un même arbre, avec au cœur l’initiation (dīkṣā).


Le tantra, c’est d’abord un langage rituel, une vision du monde où tout – couleurs, parfums, liquides, chants, huiles, danses – peut devenir support d’éveil. Abhinavagupta disait : « Tout ce qui épanouit le cœur est bon pour le chemin. »

Le tantra n’est pas sobre, il est baroque, sensuel, dense, mais aussi parfois ascétique, comme chez les sadhus, ou domestique, pratiqué en famille ou en couple. En lui, le rituel est l’outil principal de transformation, et non le discours ou la méditation seule. Dans certains courants ésotériques, on trouve des pratiques sexuelles, mais jamais de massages. Les symboles sexuels sont fréquents, les pratiques sexuelles rares, réservées et codifiées.

On fait tout avec des mantras, d’où le nom parfois donné au tantra : « la voie des mantras ». Le rituel vise une identification : se reconnaître dans une forme divine pour guérir, séduire, s’enrichir, combattre, ou atteindre la délivrance spirituelle. C’est la transmutation du corps ordinaire en corps divin.

Aujourd’hui, en Asie, tantra rime souvent avec sorcellerie, maraboutisme. En Occident, le néo tantra s’inspire de psychothérapies des années 70 (Reich) et met l’accent sur l’expression des émotions. Certaines idées rejoignent des traditions tantriques authentiques, mais la plupart du temps, il s’agit d’un tantra édulcoré, psychologisé.

Le tantrisme est une voie puissante mais dangereuse, pleine de superstitions et de dérives, mais aussi d’une richesse exceptionnelle. Plus il est puissant, plus il peut être instable. Plus il est apaisé, plus il est parfois jugé fade. Entre ces extrêmes, certaines branches raffinées comme le mahamudrā bouddhiste ou le shivaïsme du Cachemire offrent une synthèse : chaque idée y est une expérience, claire et vivante.

Le tantra, dans son essence, ne cherche pas à changer le monde mais à changer le regard. Rien à atteindre, rien à fuir. Tout est là. C’est l’expérience de la conscience qui se reconnaît elle-même à travers les formes. Chakra, kuṇḍalinī, siddhi, prāṇa... Tout cela n’est pas ailleurs. C’est un retournement, pas une conquête.

www.david-dubois.com

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