vendredi 26 septembre 2025

Inévitable évidence


"Quel moyen de connaissance valide, qui (par définition porte sur quelque chose) qui n’était jamais apparu auparavant, (pourrait faire office de preuve de l’existence) du Seigneur, le sujet connaissant, lui qui existe absolument, lui qui est en permanence apparent ? Il est comme une surface égale servant de support à la fresque bariolée de l’univers. L’associer au non-être, c’est simplement se contredire ! Il est l’Ancien, dont le corps est à tout moment apparent. Il est le réceptacle de toutes les connaissances certaines."

(Utpaladeva, Poème pour la reconnaissance du Maître en soi)

Utpaladeva affirme que le Seigneur – qui est ici le Sujet connaissant universel – ne peut être prouvé par aucun moyen de connaissance, car il est toujours déjà apparent, comme le sol même sur lequel tout repose. Or, si l’on transpose ce principe dans la vie humaine, il devient clair que notre existence corporelle, notre souffle, notre chair même, témoignent de cette Présence. Le corps n’est pas un obstacle mais l’évidence de ce sujet connaissant, toujours donné à lui-même. Ce que nous appelons “moi”, avant toute preuve, avant toute déduction, se manifeste comme corps vivant.

L’amour s’inscrit ici comme l’éveil à la valeur de cette présence. Car si le Seigneur est “le réceptacle de toutes les certitudes”, alors chaque être humain, dans son expérience sensible – douleur, joie, désir, étreinte – participe de cette certitude. L’amour, sous toutes ses formes (érotique, amical, filial, compassionnel), est cette reconnaissance mutuelle où le sujet reconnaît dans l’autre le même éclat de conscience incarnée. Dans ce sens, aimer c’est faire l’expérience immédiate que l’autre corps n’est pas un objet, mais un sujet vivant de la même lumière.

Ainsi, la valeur de la personne humaine n’est pas une dignité ajoutée de l’extérieur, mais la manifestation même du Seigneur en chaque être, un Seigneur dont “le corps est à tout moment apparent”. Dire que l’on existe, c’est déjà dire que la divinité est là. Nier cela – comme le dit Utpaladeva – serait une contradiction, car aucun discours ne peut s’énoncer sans cette présence qui se connaît et se désire.


Les textes de la tradition cachemirienne le disent aussi :

l’être humain “n’agit pas selon son désir propre, mais en s’unissant à la force du Soi, il devient son égal” ;

“le yoga du cœur” révèle que l’amour et le désir sont le premier instant de l’extase divine, la vibration créatrice qui anime la vie intérieure ;

et surtout, le Seigneur est inséparable de son Shakti, c’est-à-dire de la puissance vivante qui se donne dans les corps, dans la relation, dans le jeu du féminin et du masculin, dans la danse de l’amour.

En résumé :

Le "Seigneur" n’est pas une abstraction, il est ce frémissement vivant qui palpite en chaque être humain. Son corps est notre corps, son amour est le nôtre. Reconnaître cela, c’est voir que la valeur infinie de la personne humaine n’a pas besoin de preuve extérieure : elle est la certitude première, parce que nous sommes, parce que nous aimons, parce que nous nous tenons déjà dans la lumière de la conscience.

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