Chapitre 4 : la déité
Quand Śiva oublie sa vraie nature
En manière de jeu spontané, c'est la prison[1].
Quand il se souvient (de sa vraie nature), quand il (la) réalise[2]
Grâce à la fréquentation respectueuse du maître et de l'enseignement, c'est la délivrance. 1
Dès lors, qui est prisonnier ?
Qui est délivré ? Et de quoi ?
Ô merveille ! Tout cela est Śiva[3].
Prison et délivrance sont ce qui fait que Śiva est Śiva[4] ! 2
La prison, c'est quand Śiva joue à descendre.
Quand il s'amuse à s'élever, c'est la délivrance.
Ce double mouvement est une merveille,
La plus haute souveraineté, la plus libre des libertés souveraines ! 3
L'Absolu Seigneur, absolument libre,
Joue le jeu des trente-six tattvas qui forment cette totalité des phénomènes de l'univers.
Il paraît ainsi découvrir
Une sorte de félicité innée[5]... 4
Balajinnātha Paṇḍita, Le Miroir de la liberté (Svātantrya-darpaṇam), Munshiram Manoharlal, Delhi, 1993
[1] bandha : le lien.
[2] pratyavamarśa : quand il prend intensément conscience de lui-même comme libre conscience.
[3] śiva : bien, bon, heureux. Akhilam śivamayam : samantabhadram vā... Śiva n'est pas seulement la délivrance, il est le jeu des opposés, des transformations, de relations. Rien ne s'oppose à Śiva, tous s'opposent en lui. De même, Ramana disait que le signe infaillible de l'expérience authentique de la non dualité, c'est qu'elle ne contredit ni n'est contredite par rien.
[4] Litt : la śivaïté de Śiva.
[5] Le Seigneur est la félicité. Mais il joue à se perdre pour mieux se retrouver. Merveille. La conscience est, par nature, un jeu tragi-comique, une incomparable dramaturge. Ivresse de se perdre en toute sécurité. On peut rapprocher ce sentiment - le comble de la délectation selon Abhinavagupta -, du sentiment du sublime tel qu'il est définit par Kant. Le sublime, c'est de se sentir menacé alors même que l'on se sait en parfaite sécurité.
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