"Vasiṣṭha dit :
Je m'en vais à présent te conter
l'histoire de Costaud, Vicieux et Grosse fesse, un conte qui procure le bonheur !
Tandis que l'armée du (roi des
démons) Śambara
était partie (en campagne) dans une lointaine contrée et qu'elle prenait son
repos, les (dieux) immortels y virent une brèche et tuèrent cette armée sans
délai. Alors, ivre de colère, Śambara
en personne partit vers la cité des dieux. Ceux-ci, effrayés par la puissance
de sa magie, fuirent et se cachèrent. Śambara,
voyant le paradis désert, s'en retourna furieux chez lui, non sans avoir
incendié la cité de ces gardiens du monde. Les dieux, tout en demeurant cachés,
tuèrent les chefs de son armée. C'est alors que Śambara
engendra, par sa magie d'illusion, trois grandes illusions, trois êtres d'une
immense puissance : Costaud, Vicieux et Grosse fesse. Dépourvus des traces résiduelles (d'un passé) et
de toute identification erronée à soi, ils ne connaissaient pas la peur. Ils ne
voyaient que les soldats qui leur faisaient face, et s'affairaient à les tuer.
Les dieux se faisaient exterminer de la sorte, où qu'ils se trouvent. Abattus,
ils eurent un instant le courage d'aller s'en remettre à Brahmā.
Brahmā
dit :
"Engagez
le combat, puis fuyez vous mettre à l'abri. Puis attaquez-les de nouveau. La
pratique répétée du combat fera sans nul doute naître le sens de l'ego dans le
cœur de ces démons. Possédés par les traces résiduelles (de leurs actes), vous
les battrez aisément ! Car, de fait, les êtres sont prisonniers du filet des
traces résiduelles, ce sont elles qui les aiguillonnent. Quoique sages,
savants, éveillés et majestueux, les gens sont captifs de la soif, comme des
lions enchaînés".
Ayant
écouté ces paroles (de Brahmā), les dieux partirent à l'assaut puis battirent
en retraite. Par la répétition de ce stratagème, la pratique répétée (du
combat) fit naître le sens du "je" (dans le cœur des démons). Costaud
et les autres vécurent alors dans le "je", l'esprit attaché à lui.
Possédés par les impressions de cet état, ils devinrent pitoyables. Leur
intelligence devint aliénée et leur courage s'évanouit comme s'il était parti se
cacher...
Alors,
leur vaillance évaporée, leur cœur effrayé par la mort, ils n'étaient plus
capables de tuer les dieux. Terrorisés, ils s'exilèrent dans les enfers.
L'intellect se dit "Que cela
soit mien : Que cela soit à moi !" Quand survient ce désastre, ce malheur,
l'intellect ne reçoit plus jamais rien, pas même des cendres. Tels des serpents qui
laissent leur vieille peau, tous les malheurs quittent l'être ardent qui sait à
chaque instant que même les trois mondes ne sont qu'un brin d'herbe. Tous les
malheurs deviennent des bonheurs, et le mépris subi devient une victoire.
Le sens du "je" est la
racine de l'arbre des naissances qui n'en finissent jamais. Ses milliers de
branches prennent la forme du "ceci est mien, ceci m'arrive à moi, pour
moi". Fils de Raghu ! Ce sens du "je" est de trois sorte, en ces
trois mondes.
"Je suis tout cela. Je suis
toute chose. Je suis le Soi ultime, impérissable. Il n'y a rien d'autre".
Cet état est le sens du "je" en sa forme ultime.
"Je suis distinct de tout,
comparable au centième d'un cheveux". Cette conscience est la deuxième
sorte de sens du "je", sa forme de bon augure.
"Je suis simplement ces
bras, ces jambes, etc." Cette certitude est le troisième genre de sens du
"je", mondain et vain.
Il faut s'identifier aux deux
premiers, qui transcendent le monde, et renoncer au troisième, mondain, source
de malheur.
Puis, renonçant même aux deux
premiers, celui qui reste sans aucun sens du "je", celui-là seul
s'élève nécessairement à l'excellence ultime. Seul cet état suprême est le Bien
Souverain, absolu.
Je vais maintenant te dire ce que
Śambara fit ensuite.
Ecoute !
Autrefois, Costaud et les autres
ont été vaincus à cause de leur sens de l'ego, se dit-il. Alors, grâce à sa
magie d'illusion, il créa des experts en armement, infaillibles, intelligents
et dépourvus de tout sens du "je". Omniscients, informés de tout ce
qu'il y a à savoir, sans crainte face à la vieillesse et à la mort, ils
s'appelaient Impressionnant, Imposant et Immuable. Libres de passion comme de
haine, le regard toujours égal, ils anéantirent à nouveau l'armée des dieux par
leurs actions appropriées aux circonstances, impressionnantes et efficaces. Les dieux
allèrent s'en remettre à Viṣṇu.
Alors, enfin, ces démons furent tués par le disque (de Viṣṇu) dans la mêlée d'une
aube terrible. Dépourvu de traces résiduelles, ces grands êtres s'en allèrent
dans la paix ultime.
L'esprit est donc prisonnier des
impressions résiduelles et, quand il est libre, il est libre de ces
impressions. Ces traces se dissolvent quand on les voit en leur vérité. Une
fois dissoutes, l'esprit s'éteint comme une lampe à court d'huile. Il n'y a
qu'un seul moyen pour venir à bout de ce mal-être qu'est le cycle des
renaissances, source de tous les malheurs : dompter son propre esprit.
L'aliénation, c'est simplement désirer jouir de quelque expérience. Y renoncer,
c'est être libre. La naissance de l'esprit est une mort. La mort de l'esprit
est la vraie naissance.
L'espace omniprésent n'est pas
perçu à cause de sa subtilité. De même, la conscience impartiale n'est pas
reconnue, bien qu'elle soit infuse en tout. Cette conscience évidente, ce Soi
impérissable est "soi-même", notre propre Soi. Il n'apparaît pas, ne
disparaît pas. Il ne reste pas sur place, ni ne pars. Il ne va, ni ne vient. La
conscience n'est ni ici, ni ailleurs. Fils de Raghu ! Cette (conscience) se déploie sous ne
nom de "monde", en proliférant (telle un arbre). Sache que ce mot de "monde"
désigne les sons, les saveurs, les couleurs, les formes et les odeurs. Ce Soi
évident est l'Immense en sa transcendance. Il remplit tout, pleinement présent
en chaque chose. Ici, il n'y pas même l'image d'autre chose, fils de Raghu ! Le
reste est pur égarement, de même que la fumée n'est que feu. Au début, il faut
éveiller dans le disciple les vertus comme la sérénité et la maîtrise de soi.
Ensuite, il faut l'éveiller à (cette vérité) : "Tout est l'Immense. Tu es
pur". Celui qui dit à un ignorant ou à un demi-savant que "Tout est
l'Immense", celui-là se prépare à sombrer dans le grand filet des enfers ! (1) C'est
grâce à l'ultime ignorance née du désir de se purifier soi-même que l'on gagne
la connaissance, de même que la saleté est enlevée par de la saleté. Ô Rāma ! Que l'on ne se
demande pas "D'où vient l'ignorance ?" Mais que l'on se demande
plutôt "Comment puis-je la faire disparaître ?" Fils de Raghu ! Quand
elle aura disparue et sera anéantie, alors tu sauras intégralement son origine
et sa fin. Dans le grand océan de la conscience, la puissance de conscience
paraît en quelque sorte agitée. Ô toi dont les bras sont forts ! Cette forme de
la conscience dont la forme est forgée par l'imagination, qui est du domaine du
temps et de l'espace s'appelle "le connaisseur du champ". Suscitant
à son tour des impressions, il devient le sens du "je". Ce sens de
l'ego est le guide, et l'intellect est souillé, dit-on. L'intellect est animé
par les concepts et la prise de décision. Il devient l'esprit, masse de doutes
et d'hésitations, qui devient à son tour les organes des sens. Sache que les
sages considèrent que les organes sont le corps fait de la capacité de saisir,
de marcher, et autres (facultés). En effet, l'âme, l'être vivant, est
prisonnier de la corde formée par les impressions résiduelles des désirs, des
décisions, et, encerclé par la ronde des malheurs, il devient peu à peu le
psychisme.
C'est ainsi que la conscience,
pleine de possibilités, devient un sens de l'ego sans failles et impénétrable,
à cause de son désir propre, comme un vers à soie dans son cocon. Les êtres
vivants sont donc des états de la conscience assumés parce qu'elle a imaginé le
devenir. Les dieux, les animaux, les hommes, etc. sont formés par l'imagination
de Brahmā. Ils
semblent séparés les uns des autres comme des vaguelettes sur l'océan."
Le Yoga de Vasistha, I
Le Yoga de Vasistha, I
(1) Interpolation védantique.
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