D'abord, l'écoute du souffle.
Fin de l'expir, délivrance. Silence. Transparence.
Fin de l'inspir, plénitude. Touche d'amour.
Shiva et Shakti, toujours.
Par la magie de cette écoute, l'âme (l'oiseau migrateur, hamsa) devient divine ("je suis lui/elle", so'ham).
Puis, l'union de deux êtres :
Shiva et Shakti, toujours.
Dans notre corps, puis dans nos deux corps.
Abhinava décrit cette dernière expérience :
"Quand nous entrons
dans le royaume de l'extase totale,
c'est alors que nous faisons l'expérience
de l'enseignement selon lequel
'par les baisers et les coups de rein...'
Maîtres en ce (royaume),
(notre) Canal du Centre,
éclat suprême (de la Vie),
anime le corps entier.
Ensuite, et dès lors que l'énergie féminine
a été excitée, nous allons vers
le royaume (de l'orgasme),
l'éjaculation, merveille de félicité.
A elle seule, elle n'est pas complète.
Mais quand elle l'est,
elle est Dieu.
C'est ainsi que cette énergie d'extase
se déploie."
"Coups de rein" : manthana, littéralement "baratter".
"Le Canal du Centre" : l'atemporelle conscience, d'abord découverte entre deux respirations, puis entre les deux corps, entre deux mouvements. Puis ce frémissement envahit la respiration, les mouvements. Dans la pratique à deux, cette Présence est d'abord découverte dans le plaisir génital. Puis cette sensation se répand "en haut, en bas et au milieu", comme dit Kshémarâdja, cousin d'Abhinava, qui parle lui de "l'éclat suprême qui anime le corps entier".
"L'extase" : visarga, littéralement "éjaculation". C'est le terme employé pour désigner l'Acte créateur, l'extase divine, l'orgasme humain, et le résultat de cet orgasme - les sécrétions féminines et masculines, offertes ensuite.
"Quand elle n'est pas complète" : si le déploiement des sensations n'est pas reconnu comme manifestation divine, s'il n'y a pas d'émerveillement, de délectation. C'est là qu'une certaine lenteur est mise en valeur par Abhinava, même s'il ne parle jamais de "rétention", idéal des yogis ascètes en quête d'immortalité physique. Ce sont deux modèles opposés.
Ce rituel englobe tout, contient toutes les expériences, il est potentiellement gros de tous les savoirs. Voilà pourquoi, dans la tradition du Cœur, on le nomme "Sacrifice (="qui rend sacré") primordial", originel, âdi-yâga
Cet état de "je suis elle/lui" est un état d'unité, mais aussi de non-dualité.
Car ici, dans la tradition du Cœur, l'unité n'est pas un but en soi.
On n'aspire pas à l'unité en rejetant la dualité, car la dualité est un concept, mais l'unité aussi...
Car voyez : "concept", ici, désigne simplement une expérience artificielle, factice, construite, et non pas seulement une pensée abstraite. C'est le point où la plupart des adeptes du Néotantra s'égarent, et tombent dans un culte du corps qui ne saurait combler personne. Le but est plutôt de réconcilier unité et dualité en réconciliant les pôles de la dualité, en célébrant la dualité dans l'unité et l'unité dans la dualité.
Concrètement, homme et femme fusionnent. Car
"cette extase naît de l'excitation (des deux partenaires).
'ha' (symbolise la conscience) qui engendre les consonnes (et donc la création extérieure).
Et 'sa', uni à la résonance 'm' emporte tout dans l'Absolu ('a'), royaume de notre nature véritable.
Tout ceci est l'état de 'je suis lui'".
En ce royaume du suprême Éclat,
nous sommes à la fois excités, et tirés vers le centre de nous-même. C'est la magie du visarga, de l'extase, qui désigne aussi, en sanskrit, une syllabe qui s'écrit avec deux points ":". Double extase : épanchement vers l'extérieur, vers l'autre ; et vers l'intérieur, dans le feu conscient au cœur de soi. Et ces deux se nourrissent mutuellement. La paix de l'homme excite la femme, qui excite l'homme, qui en retour apaise la femme... et ainsi à l'infini, de sorte qu'extérieur et intérieur, unité et dualité, s'égalisent. Comme le souffle. Comme moi et le monde.
Tout est là.
Nous sommes alors loin du néotantra, semble-t-il,
mais proches de l'expérience ordinaire.
C'est la reconnaissance de l'expérience qui rend l'expérience extraordinaire,
et non pas l'expérience en elle-même.
Sans compréhension, sans attention, c'est-à-dire sans amour,
l'expérience reste "incomplète",
incapable de combler le couple,
quelques soient les techniques.
Bien sûr, on peut transposer à toutes les autres expériences de la vie.
A-ha-m = "je"
Shiva-Shakti-Individu.
C'est clair :)
(les extraits sont traduits de la Libre méditation sur la Déesse-Parole, I, 896-899)
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