La voie de la bhakti. Voie de l'amour divin.
Ce chemin, ce yoga, est souvent opposé à la voie de la connaissance, jnâna.
Mais que signifie bhakti ?
Ce mot sanskrit est un nom abstrait : "le fait de participer à", de "se donner" et donc, "se dévouer à" et finalement "aimer". Mais en pratique, ce terme est réservé à l'amour pour le divin.
Il dérive de la racine -bhaj "partager", "distribuer des parts".
De cette racine vient aussi bhâga "la part" et, par extension, "la bonne part", le bonheur.
Bhaga-vant est celui qui a la "bonne part", le "fortuné", le "bienheureux". Est employé pour s'adresser au Bouddha, d'abord, puis à toutes sortes de personnes respectables. Par exemple Shankara ou, plus récemment, Bhagwan Shrii Rajneesh (bhagavân shrî rajnîsha), alias Osho.
Mais le mot le plus important formé sur cette racine reste bhakti.
Dans la vision populaire, "la bhakti" consiste à chanter des mantras ou des bhajans (chants religieux).
Ou encore, que la bhakti est réservée aux Haré Krishnas ou aux âmes sensibles.
Mais en réalité, on trouve de la bhakti dans toutes les traditions indiennes, bouddhisme compris.
Selon le Védânta, la bhakti est un moyen de se tourner vers le Soi intérieur (pratyag-âtmâ). La bhakti est l'amour donné à Dieu. Or Dieu est la conscience, le témoin qui éclaire tout ce qui apparaît en nos expériences. Par sa présence silencieuse, il est aussi celui qui ordonne le fonctionnement des phénomènes.
Pourtant, il existe un préjugé selon lequel le Védânta est strictement une affaire d'intellectuels desséchés, des Spocks spirituels. Il est vrai que le Védânta affirme clairement que l'intellect (buddhi) est l'outil de la connaissance du Soi.
Bien sûr, le Soi n'est pas un objet d'expérience ni de raisonnement et l'intellect ne peut le connaître à la manière d'un objet. Mais le Soi est toujours présent, et l'intellect n'a qu'à écarter les croyances surimposées au Soi pour que ce dernier rayonne comme il l'a toujours fait.
La connaissance libératrice passe par l'intellect, mais elle ne vient pas de l'intellect. Cela étant, il est vrai que selon le Védânta, la libération vient de la connaissance, non de l'amour. C'est un éveil au Soi, pas une union mystique. Le Védânta ne s'appuie pas sur un état de conscience spécial.
Selon lui, la conscience ordinaire est l'absolu, mais juste confondu avec les apparences qui semblent émaner en lui, comme le serpent "cache" la corde. De plus, Dieu existe selon le Védânta, ainsi que les êtres et le monde. Mais ce ne sont que des apparences projetées sur l'absolu qui, en lui-même, est juste... l'absolu.
La voie du Védânta est donc une voie de connaissance et de dépouillement.
Cela étant, cela n'exclut pas l'amour. Dans les traditions mystique, l'amour n'est pas non plus nécessairement une effusion du cœur, un ressenti spectaculaire ou des larmes et autres manifestations d'émotions. A côté de l'amour senti, et plus élevé que lui, il y a l'amour pur, désintéressé, non ressenti comme consolation, mais comme sécheresse ou aridité. Pourtant, c'est bien une voie d'amour dont parlent les mystiques comme Jean de la Croix ou Madame Guyon.
Donc le Védânta voit l'amour divin non pas comme une voie complète, mais comme un puissant auxiliaire. On dit souvent que Dieu, selon le Védânta, est réfuté en même temps que l'ignorance, avidyâ. Ca n'est pas exact. Ce que la connaissance annule, c'est l'idée de Dieu comme créateur, car la connaissance annule la croyance en la réalité du monde.
Mais Shankara, le plus respecté philosophe du Védânta, emploie indifféremment le terme "seigneur" (îshvara) pour Dieu et pour l'absolu. C'est plus tard que cette distinction s'est durcie, au point qu'aujourd'hui le Védânta passe presque pour une philosophie athée.
Il est vrai que dans le Védânta, une tension existe entre la connaissance et l'amour. Le cas le plus célèbre en Inde est Madhou Soûdana, un sage du XVIIe siècle qui tenta de donner autant d'importance à l'amour qu'à la connaissance, tout en restant fidèle au Védânta des origines. Mais il semble avoir échoué.
La connaissance, finalement, demeure au sommet du cheminement védântique, même si en pratique la bhakti a pris un grande place dans la tradition, notamment à travers des hymnes et des oeuvres tantriques attribuées à Shankara, comme le Raz-de-beauté (Saundarya-laharî).
Dans le shivaïsme du Cachemire et la philosophie tantrique de la Reconnaissance, la situation est très différnte sur ce point.
La connaissance est la clé de la libération, mais l'amour est une forme de connaissance. Ou plutôt, l'amour bien compris est connaissance, et la connaissance est amour du Réel qui est vérité, beauté et bonté.
D'ailleurs, le philosophe fondateur de la voie de la reconnaissance, Outpala Déva, fut aussi l'auteur de profonds poèmes mystiques, ou le mots amour apparaît à chaque verset. Une traduction de ces poèmes paraîtra en français à l'automne prochain.
Ainsi, la Reconnaissance rejoint l'idée médiévale et occidentale d'une "sagesse savoureuse", d'une expérience intelligente, où toutes ces oppositions sont surmontées et réconciliées.
La bhakti est simplement la conscience elle-même.
Car la conscience est désir, élan, bouillonnement, ébullition en soi, frémissement qui déborde en monde et en créatures infinis. L'amour est le mouvement sous-jacent à tous les mouvements, vitaux ou non.
Il est l'émotion dont les émotions individuelles sont comme autant d'affleurement furtifs. Nos états intérieurs sont comme des illuminations de cette Lumière d'amour originelle, mais déformées par le sentiment d'être seulement tel ou tel individu. L'absolu est amour.
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