samedi 6 avril 2019

Les climats déterminent-t-ils les philosophies ?

Le philosophe Hegel est célèbre pour avoir affirmé que le climat détermine en grande partie les philosophies possibles dans une zones climatique donnée.

En contact avec l'Inde depuis des décennies, je me suis demandé, comme d'autres, quelle pouvait être la part du climat tropical dans la mentalité hindoue et dans ses philosophies.

Le climat tropical, fait de chaleur et d'humidité, favorise-t-il un certain type de philosophie ? 

La civilisation hindoue du sous-continent est frappante par son contraste entre une existence matérielle marquée par le chaos, et une vie intellectuelle abstraite particulièrement intense. Bien évidemment, la théorie brahmanique du pur et de l'impur y joue un grand rôle. Cette dualité, en partie à l'origine du système des castes, justifie une très forte dualité entre les intellectuels et les manuels. Cela n'aide pas à faire tout ce qui doit être fait pratiquement. Le brahmane ne fait rien manuellement : s'il le peut, il ne doit même pas écrire. Il doit déléguer cette tâche à des scribes, des gens de rang inférieur. mais les scribes comprennent rarement le sanskrit. Et donc les textes sont copiés pas des gens qui ne comprennent pas, ou mal, ce qu'ils copient. D'où la mauvaise qualité des manuscrits. Dans le Sud, plus marqué par le climat tropical, les textes sont copiés avec des sortes de clous sur des feuilles de cocotiers. Puis, une fois la page copiées, mais sans voir ce que l'on a écrit, du coup, on met de l'encre qu'on essuie, et l'encre reste dans les sillons tracés au clou. Cela donne une écriture en pattes de mouches assez moche et souvent illisible. Et cela n'a guère changé pendant des siècles. 

Et sur le plan intellectuel, le Sud tropical a développé des philosophies très complexes, mais très abstraites, comme le Nyâya, le Madhyamaka bouddhiste ou encore le Vedânta. Toutes ces doctrines, apparemment opposées, ont en commun l'abstraction et un manifeste désintérêt pour le réel, pour la nature et le concret. Quand j'ai visité des village "sanskrits" et autres lieux où le mode de vie brahmanique du Sud s'était conservé, j'ai été frappé par le manque de débrouillardise matérielle. Comme à Bénarès, le concret est laissé à l'abandon, aux mains d'esclaves maltraités. N'y aurait-il pas un lien de cause à effet entre ces philosophies qui abandonnent le réel, et l'état d'abandon dont souffre le quotidien indien, en particulier dans les milieux traditionnels ? 



Or cet intellectualisme coupé du réel, propre au brahmanisme du Sud, n'est-il pas, au moins en partie, déterminé par le climat lourd et humide ? C'était la thèse de Hegel. Il est vrai que cette chaleur moite, cette ambiance de hammam, ne stimule pas la clarté mentale tournée vers le réel. Elle incite plutôt à tout laisser tomber, à se replier vers le dedans, à s'adonner au retrait des sens. Le chaos invite à l'ascétisme, au renoncement. N'est-il pas tentant de tout lâcher dans un chaos pareil ? De même, l'importance donnée à la concentration mentale ne s'explique t'elle pas en partie dans un environnement si bruyant ? Dans la littérature classique, le coassement continuel des corbeaux était déjà familier.

Beaucoup d'intellectuels indiens (brahmanes principalement) on accusé le Vedânta d'avoir affaibli l'Inde, en gros. Une philosophie aussi dualiste que le Sâmkhya, qui ajoute en plus l'idée que le réel n'est qu'une illusion, que la destin d'une vie est immuable, que le libre-arbitre n'est qu'une illusion, encourage-t-il à l'action, à l'effort ? On en voit un exemple frappant chez Ramana Maharshi : fasciné par le Vedânta, il se montre fataliste, dénonce l'illusion du libre-arbitre, et décourage tout intérêt porté au monde extérieur. La seule quête importante doit être dirigée vers l'intérieur. Il est vrai que dans l'atmosphère sirupeuse des tropiques,il est facile de se laisser aller, de succomber à l'appel de la sieste perpétuelle. Le moindre effort coûte. Le silence n'existe qu'à l'intérieur, tant la nature elle-même est bruyante, entre les oiseaux et les insectes qui pullulent. Les moments de silence sont rares. La chaleur n'est pas celle, sèche, de la Méditerranée. L'air semble parfois liquide, els parfums sont décuplés, la frontière entre sommeil et veille se fait floue. 

A l'opposé, le Cachemire au offert aux brahmanes indiens un climat alpin, sec et frais. Or, le contraste avec les productions philosophiques du Sud est frappant : au Cachemire se sont développées des philosophies réalistes, à commencer par le bouddhisme sarvâstivâda et sautrântika. Même l'idéalisme bouddhique cachemirien, celui d'Asanga et Vasubandhu, de Dingnâga et Dharmakîrti, s'oppose au Madhyamaka par sa richesse, son soucis du détail, son intérêt pour toutes les dimensions de l'expérience humaine. Dans la littérature sanskrit cachemirienne, les descriptions de la nature sont plus riches. Dans le Yoga-vâsishtha, composé au Cachemire vers 950, on a une forme de non-dualisme qui célèbre la vie dans le monde et l'effort héroïque (paurusham), la résistance au destin. Quant au shivaïsme du Cachemire, il est connu pour son affirmation de la vie, du corps, du plaisir, de l'expérience esthétique et, surtout, pour avoir réconcilié l'affirmation de la réalité du monde avec celle de la non-dualité. De même, le libre-arbitre, même s'il est relatif et subordonné à la souveraineté de la conscience universelle, n'est pas absolument nié. Le shivaïsme du Cachemire se passionne pour les détails de l'expérience et souligne l'importance d'une attention qui se plonge dans ces détails, dans l'instant à l'intérieur de l'instant. Le contraste est frappant.

En résumé, un climat tropical détermine un certain rapport au corps et au mental, rapport qui a son tour favorise un type de philosophie, ou d'hypothèse. Le climat tropical invite au sommeil et à l'abandon. Il a donc engendré plutôt des philosophies coupées du réel, des doctrines de l'exclusion et du repli intérieur.

Il serait intéressant de se poser ces mêmes questions à propos du Tibet et de son influence, par exemple, sur le dzogchen. 

Dans quelle mesure les climats influencent-ils les philosophies des hommes ?

2 commentaires:

  1. Compte tenu que tout est conscience ,
    dans quelle mesure les philosophies des hommes influencent-elles le climat ?:)

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  2. Le monde englouti de J.G Ballard !!!

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